« Comment réussir la mixité sociale dans son établissement ? » C’est la question posée en préambule du colloque organisé au palais du Luxembourg. Objectif : réfléchir ensemble et repartir avec des idées, des outils pour mieux accompagner les familles en situations de précarité.
Bien que critiquée dans son mode de calcul, la mise en place du bonus mixité par le gouvernement pour les établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE), dans le cadre de la stratégie de lutte contre la pauvreté, relance le débat. La petite enfance apparaît aujourd’hui comme un levier efficace de la prévention précoce des inégalités sociales. Mais sur quelles modalités ?
Des facteurs multiples
« La chance donnée à chaque enfant de pouvoir construire son devenir dans la société est un sujet qui nous oblige tous. En ce lieu de confrontation des idées, nous sommes ici pour apprendre des autres, du terrain, mieux comprendre les enjeux et grandir ensemble. »
Laurent Pilette, directeur de la MSA Île-de-France et d’Alisé, à l’ouverture du colloque.
Dorothée Pradines, conseillère auprès d’Olivier Noblecourt, délégué interministériel à la prévention et à la pauvreté, est venue rappeler les enjeux de cette politique : « Aujourd’hui, un enfant sur cinq est issu d’une famille qui vit sous le seuil de pauvreté, et pourtant seuls 5 % d’entre eux vont en crèche, contre 22 % des ménages les plus riches. Selon une étude de l’OCDE1, il faut six générations pour qu’un descendant d’une famille très modeste atteigne le revenu moyen de la population. Il faut briser cette fatalité et rompre la reproduction des inégalités ». La tâche est de taille.
Les inégalités, présentes dès la naissance, deviennent en effet difficiles à contrer une fois qu’elles sont en place, confirme Lidia Panico, chercheuse à l’Institut national d’études démographiques (Ined). « L’impact de la crèche, notamment sur le langage, est plus positif chez les petits les plus défavorisés. En France, elle semble donc combler certaines différences, même s’il n’est pas le seul facteur. Il ne faut pas en effet oublier que le genre, la santé et le contexte socio-économique (notamment l’environnement d’apprentissage à la maison) sont prépondérants, insiste la chercheuse. L’étude longitudinale française depuis l’enfance (Elfe), menée depuis 2011, a montré qu’il existe des écarts considérables de vocabulaire à 2 ans. Cet écart dans le développement du langage y est expliqué à 70 % par le contexte familial. »
L’impact positif d’un accueil de qualité
D’autres programmes, comme le projet Perry Preschool conduit entre 1965 et 2005 aux États-Unis, ont montré les conséquences positives sur le long terme d’un accueil de qualité. « Ce qui est intéressant, note Lidia Panico, c’est qu’on y voit l’importance des compétences sociales, comportementales, motivationnelles, dans les bons résultats à l’âge adulte. Se focaliser sur les compétences cognitives ne suffit pas. Par ailleurs, si le programme est de mauvaise qualité, cela n’apporte rien. »
Parallèlement, d’autres types de structures peuvent aider à toucher des familles précaires. Dans le Val-d’Oise, 105 lieux d’accueil enfants-parents (LAEP) constituent un outil essentiel : « Pour des familles qui ne sont pas en demande de crèche, ils permettent d’éviter l’isolement, et ça se passe mieux à l’école ensuite », explique une représentante de la caisse d’allocations familiales (Caf) du département.
La MSA, qui couvre 5 % des familles, n’est pas en reste. « Nous avons favorisé depuis longtemps l’ingénierie et la création de solutions adaptées, comme les micro-crèches ou les établissements avec des horaires atypiques, explique Magalie Rascle, directrice du développement sanitaire et social à la caisse centrale de la MSA. Elles répondent à des besoins dans des zones très rurales notamment, mais aussi en périurbain. Ces solutions doivent s’inscrire dans une approche plus globale du territoire, car les difficultés d’accès de certaines familles se combinent avec d’autres, comme la mobilité. On constate également qu’une précarité s’installe dans le monde agricole, ce qui peut freiner l’accès à ces structures. »
S’occuper d’un public fragile
Même constat du côté de la Croix-Rouge française, qui dispose d’une soixantaine de crèches. Séverine Bresson, chargée de mission petite enfance, ajoute que cela va de pair avec l’épuisement émotionnel des équipes confrontées à des situations de plus en plus difficiles.
Pierre Moisset, sociologue et consultant spécialiste de la famille et de la petite enfance, qui a dirigé l’ouvrage collectif Accueillir la petite enfance : le vécu des professionnels, paru en avril dernier aux éditions Erès, recentre la discussion sur le travail au quotidien, grâce aux nombreux entretiens qu’il a menés. À travers plusieurs exemples de situations rencontrées dans des structures spécialisées dans les publics fragiles, il montre les « chocs » auxquels doivent se confronter les professionnels : culturels, moraux, représentatifs ou d’engagement.
« Il faut définir l’objet du travail. Est-ce la famille ou l’enfant ? C’est toujours l’enfant. Ce type d’accueil demande un professionnalisme supplémentaire : mettre en œuvre un travail d’équipe plus conséquent, avec des références, des valeurs communes, un projet clair, de la réflexivité. Ce qui demande plus de temps. S’occuper d’un public fragile, ce n’est pas s’ouvrir à toutes les différences, c’est avoir des valeurs claires que l’on tient dans son lieu. On les incarne avec l’enfant pour voir la différence que cela fait dans les yeux des parents. C’est travailler encore plus ses affects, ses émotions, ses jugements, le don/contre-don. Voir la situation des enfants s’améliorer, le parent changer devant le changement de l’enfant, c’est gratifiant. »
Au-delà de la question de l’accès, le projet pédagogique et les pratiques des établissements sont donc importants.
« Comment impulser une politique nationale là-dessus ? », se demande Florent de Bodman, fondateur et directeur de l’association 1001mots, coauteur d’un rapport du groupe de réflexion Terra Nova sur la petite enfance.
C’est ce qu’essaie de faire, localement, la ville de Metz, où « un enfant sur trois vit sous le seuil de pauvreté », précise Myriam Sagrafena, conseillère municipale chargée de la petite enfance. Une crèche multi accueil, adossée à une ludothèque et un LAEP, y a ouvert en 2014, doublé d’un partenariat avec les centres sociaux. « Un centre d’information parents-enfants a également été créé pour accompagner chaque famille dans sa recherche. On a construit avec les relais d’assistantes maternelles (RAM) un passeport pour leur donner une visibilité, ainsi qu’un nounou dating. Cela rassure les parents, qui n’avaient pas vu l’intérêt de l’assistante maternelle au départ. »
Une question ressort de la journée : n’est-ce pas finalement plus efficace de n’accompagner que des publics fragiles ? Les avis sont partagés. Pour Julien Taffoureau, administrateur chez Baby-Loup, crèche solidaire doublée d’un relais familial d’urgence ouvert 7 jours sur 7, 24h/24 à Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines, la mixité est une évidence. « Les horaires décalés et les plannings variables touchent tous les métiers. Ce serait un enfermement de n’accueillir que des familles pauvres. Nous comptons 50 % de publics précaires et 50 % de familles aisées. » Il y a encore du chemin à faire pour que l’accueil du jeune enfant devienne un droit fondamental, mais l’implication des équipes et les multiples expériences partagées montrent bien qu’en faire un outil d’égalité des chances est possible.
1. Organisation de coopération et de développement économiques.
Créée en 2001 par la MSA Île-de-France, Alisé est membre de MSA services. Grâce à son offre de formations et ses différentes animations, conférences et concours, elle contribue au développement des compétences des professionnels, à l’accompagnement des parents et à l’amélioration de la qualité de l’accueil au sein des structures de la petite enfance et de la jeunesse.
Implantée dans toute l’Île-de-France, l’association compte 188 adhérents en 2018, principalement des crèches, micro-crèches familiales, multi accueil, haltes-garderies, accueils de loisirs, relais d’assistantes maternelles et LAEP.
Chaque année, un concours valorise des actions innovantes mises en place dans ces structures. Le prix coup de cœur 2018 a notamment récompensé une activité laissant libre cours à l’imagination des enfants ; deux lauréats ont reçu 10 000€ au total.
► www.alise-asso.fr – 01 49 85 49 26.