Les professionnels du centre régional des Arts du cirque de Chambéry initient aidants et aidés à leur art.
Photos : ©Alexandre Roger/le Bimsa.

« Tim est un garçon mignon et plein de vie. Pourtant à 9 ans, il ne lit pas. Il n’écrit pas. Il a du mal à aller vers les autres enfants. Le système scolaire n’est pas adapté à lui, l’obligeant à rester à la maison. » Le regard plein d’amour que porte Isabelle, 37 ans, sur son fils ne l’empêche pas de faire un constat réaliste : Tim est différent et a besoin de quelqu’un en permanence. « À deux ans, je me suis rendu compte qu’il n’était pas comme les autres enfants. J’ai fini par poser la question de l’autisme. J’ai fait faire un bilan neurologique. »

Le diagnostic est tombé, entre choc, soulagement et résignation. « On s’y attendait. On s’est dit que désormais nous savions ce qu’il avait, que nous allions enfin pouvoir nous adapter. » Sa méthode ? « Suivre mon instinct de mère. Ne jamais marquer la différence. Je le traite comme ses frères et sœurs. Mais s’occuper de Tim est quasiment du temps complet et aujourd’hui j’aimerais bien retravailler… » Ce qui pose la question de trouver la bonne solution de relayage. La raison de sa présence à l’après-midi cirque organisée par l’association Bulle d’air Rhône-Alpes (1) ? Tim bien sûr, encore et toujours. « Il adore le cirque mais aussi les jeux extérieurs, le vélo, le badminton et le foot. C’est bien ici, parce qu’il peut faire comme il veut. » Et l’infatigable petit acrobate confirme par une série de galipettes les paroles de sa maman en courant d’atelier en atelier.

« Je gère tout, toute seule. J’essaie de tenir le coup »

La petite famille croise Odile, 77 ans. Cela fait sept ans que cette assistante maternelle à la retraite a vu les capacités de Roger s’effilocher et sa personnalité disparaître peu à peu. Et là aussi le diagnostic a fini par tomber comme une claque, glaçant. Alzheimer, ravageant toutes les certitudes d’une vie construite à deux. « Il a commencé par ne plus se rappeler de certaines choses… Ce qui reste de mon mari ? Son bon coup de fourchette. Il me demande sans cesse si on mange bientôt. Sinon, plus grand-chose. C’était un grand jardinier. Il a tout arrêté. Il faut beaucoup de patience. Il est devenu très exigeant. Je gère tout, toute seule. J’essaie de tenir le coup. Aujourd’hui, je me pose la question de savoir ce qui se passera quand je ne serai plus là. Pourquoi je suis venue aujourd’hui ? Pour voir le cirque, pardi ! »

Bernadette et Catherine ont presque l’air de deux sœurs. Mêmes yeux clairs et même sourire complice qui ne laisse rien deviner de ce qu’elles vivent au quotidien. « On était dans un état de solitude extrême. Deux dépressives, désespérées de la vie quand on s’est rencontrées au service d’accueil de jour. » Ce qui a réuni ces deux aidantes ? Leurs fils, Mathias et Sébastien, 30 et 34 ans. L’un est trisomique, l’autre atteint de troubles envahissants du développement. Leurs besoins sont constants : la toilette, s’habiller ou prendre un simple repas sont compliqués. Et cette maudite apnée du sommeil, qui oblige certaines nuits à se lever jusqu’à sept fois quand la sirène du respirateur se met à retentir. Tous les quatre profitent des activités de cirque. Au programme : lâcher prise et rigolade. Des moments précieux entre aidants et aidés. La pyramide humaine qu’ils sont en train de former sur les conseils des professionnels du cirque a fière allure.

« Pourquoi papa est handicapé ? »

Jérôme, sujet à de fortes angoisses, semble un peu perdu au milieu de ce joyeux tohubohu. Il a du mal à lâcher prise et s’inquiète pour la neige qui, dehors, tombe à gros flocons. Il était vendeur de matériel agricole quand sa vie a basculé. Renversé par une camionnette, l’accident l’a laissé invalide et aux soins de Régine, 38 ans, sa femme, aide-soignante dans un service de soins palliatifs. Les séquelles sont neurologiques, psychiques et dégénératives. « Je travaille en trois quart temps mais j’avoue que c’est difficile au boulot et compliqué à la maison. Faire cuire des pâtes ou couper le steak de son fils, Louis, 5 ans et demi, lui est impossible. J’étais enceinte quand c’est arrivé. Louis se rend compte que son papa n’est pas comme les autres, même s’il l’a toujours vu comme ça. Il commence à me poser des questions : “Pourquoi papa est handicapé” ? »

Élodie, 34 ans, est relayeuse depuis 1993 à Bulle d’air. Un brevet d’études professionnelles agricoles (BEPA) service à la personne en poche, la jeune femme a travaillé en maison de retraite. « Ensuite, j’ai fait de l’aide à domicile pendant plusieurs années et des gardes de nuit quand j’ai eu ma fille. » Élodie est une vraie pro de l’aide à la personne qui a naturellement trouvé sa place au sein de l’association. « Nous sommes là pour soulager les aidants de proches fragilisés par la dépendance, la maladie ou le handicap. Je rencontre des personnes vraiment désespérées. Quand le relayage se met en place, la plupart des aidants sont contents, tandis que d’autres sont très angoissés à l’idée de laisser quelqu’un s’occuper de leurs proches. Ce sont souvent ceux qui sont le plus à bout physiquement et moralement. À certains stades, il est important d’accepter de se faire aider. C’est aussi important pour l’aidant que pour l’aidé. » Bien sûr, certains moments sont plus difficiles que d’autres. Lorsque, par exemple, la première personne chez qui Élodie a travaillé est partie des suites d’une sclérose en plaques à seulement 55 ans : « Je pense encore souvent à Marité. » Aujourd’hui, c’est Jacques, Jeanne et leurs aidants respectifs qui reçoivent la visite d’Élodie chaque semaine. Ce qui leur permet de souffler en toute confiance.

Pascal et sa maman, c’est à la vie, à la mort. Au sens propre. « Il n’y a que la mort qui pourra nous séparer », prévient cet aidant de 56 ans qui s’occupe de sa mère de 91 ans depuis seize ans. De la toilette aux repas, en passant par les changes, il prend soin d’elle de A à Z. « Les gens ne mesurent pas ce que ça représente. » Célibataire, sans enfant, il a construit toute sa vie autour de la dépendance de sa mère. « Je suis en télétravail. J’ai installé mon bureau à côté de son lit médicalisé. Mais mon métier m’oblige parfois à faire des déplacements.» C’est dans ce cadre que Pascal fait régulièrement appel au service de relayage. « J’étais sur les rotules. À partir du moment où j’ai pris la décision d’appeler Bulle d’air, j’ai eu une heure d’écoute véritable pour comprendre mes besoins. Depuis, deux relayeuses viennent chez moi pour s’occuper de ma mère en mon absence. Grâce à ces deux infirmières à la retraite, je pars les yeux fermés. Je suis enfin sorti du tunnel. » Récemment, Pascal s’est même permis de faire un relayage pour passer une soirée chez des amis. « Les gens me trouvent changé. On m’a même dit que j’avais rajeuni de dix ans. »

Répit à domicile : une bulle d’air pour les aidants

Au regard de ces témoignages, il s’avère indispensable pour les aidants de se faire relayer ponctuellement ou régulièrement pour continuer à accompagner leurs proches. Service spécialiste du répit à domicile inspiré du «baluchonnage» québécois, Répit Bulle d’Air a vocation à soulager les proches aidants de personnes fragilisées par l’âge, la maladie ou le handicap. En proposant pour enfant ou adulte des interventions «à la carte» au domicile des familles, Bulle d’air permet à l’aidant de prendre, en fonction de ses besoins, un après-midi, une soirée, une nuit, une journée, un week-end ou une semaine de répit et ce, de manière régulière ou ponctuelle. Bulle d’air est un service innovant de répit à domicile créé à l’initiative de la MSA Alpes du Nord. Il est proposé depuis 2012 en Isère, Savoie et Haute-Savoie, depuis 2016 dans l’Ain, la Drôme et l’Ardèche, et en 2018 dans le Rhône.