« Ça c’est un ventilateur à céréales, qui trie les bons grains des déchets. » Odette, 90 ans, qui vit à la Marpa de Bourg-de-Bigorre, dans les Hautes-Pyrénées, répond à une autre résidente qui ne connaît pas aussi bien les outils des champs qu’elle. Baratte à beurre, four à pain, machine à coudre, moissonneuse… elles visitent, avec une quinzaine d’autres résidents Marpa du territoire, le musée Cap al Campestre à Muret, près de Toulouse.
À travers 12 bâtiments thématiques rassemblant un nombre incroyable d’objets d’époque, ce petit paradis pour nostalgiques replonge les visiteurs dans le quotidien des habitants des villes et des campagnes entre 1900 et 1960. Se souvenir des objets d’autrefois, un plaisir utile que connaissent bien ces seniors. Cette journée découverte a été organisée le 29 juin par la MSA Midi-Pyrénées Sud pour marquer la fin d’un projet inédit, récompensé lors de la première édition du prix de l’innovation Marpa en 2016.
Stimuler la mémoire, l’entraide
Pendant six mois, 40 à 50 résidents de quatre Marpa locales — Cœur Lauragais, à Auriac-sur-Vendinelle, Les Cazalères, à Aurignac, Les Baronnies, à Bourg-de-Bigorre et Cap Soulé, à Saint-Plancard — ont participé à un projet d’étude en lien avec le gérontopôle de Toulouse, autour d’un support collectif de stimulation cognitive : Mémoire RED(1). Objectif : adapter cet outil, utilisé auprès de personnes vivant en Ehpad, aux résidents Marpa, et montrer son efficacité avec l’aide d’un groupe de chercheurs universitaires. Entre février et juillet 2017, deux ateliers, avec et sans le support interactif, de 20 séances chacun, ont été animés par le créateur de Mémoire RED, Franck Vergnac, complétés par des entretiens individuels.
« L’isolement social, un des critères majeurs de fragilité. »
Quiz thématiques, jeux de mots et jeux visuels à partir d’objets du quotidien, les exercices de mémoire ont aussi pour but de susciter les réactions, les échanges et l’entraide des participants. « Il y avait deux groupes, un avec le DVD interactif, l’autre par écrit. Après trois mois, on a échangé », explique Berthe, 92 ans, de la Marpa d’Aurignac. « Cela aide à maintenir la mémoire, complète sa complice du même âge, Marie-Thérèse. Je n’y vois plus comme il faut, mais j’ai passé de bons moments, on se retrouve, on discute. »
« La première motivation des participants est la convivialité, confirme Elizabeth Bougeois, enseignante chercheuse à l’université de Toulouse 2. Au début, il y avait une certaine méfiance mais, petit à petit, ils se sont pris au jeu. Nous avons constaté un gain en confiance et beaucoup de collaboration. Le support, et la façon dont Franck l’utilise, leur permet de s’entraider. Sans animateur, ça n’a plus d’intérêt, car c’est quelqu’un qui connaît les personnes et qui s’adapte en fonction de l’état de fatigue par exemple. Pour trouver les réponses, les participants utilisent leurs souvenirs et leur expérience. Indéniablement, le dispositif facilite la participation sociale, ce qui est central dans le bien-vieillir. »
« Entre le début et la fin des séances, l’écart entre ceux qui parlaient le plus et ce qui parlaient le moins a diminué de façon significative »
Dr Pierre Rumeau
Franck Vergnac, Marie-Thérèse, Berthe et leur accompagnatrice, responsable adjoint de la Marpa d’Aurignac. L’équipe de chercheurs, composée de Julie Bernard (stagiaire, qui a réalisé les entretiens individuels), Elizabeth Bougeois, le Dr Pierre Rumeau et Jenny Duchier (ingénieure d’études à la retraite).
« L’isolement social apparaît en effet comme l’un des critères majeurs de fragilité, explique le Dr Pierre Rumeau, spécialiste en médecine physique et de réadaptation au service de télémédecine du CHU de Toulouse, et animateur du pôle sud du Centre d’expertise national en stimulation cognitive. Nous, chercheurs, voulions structurer le projet pour pouvoir prouver scientifiquement que ça fonctionnait. Et nous avons eu la surprise de faire une première mondiale ! Nous avons montré qu’entre le début et la fin des séances, l’écart entre ceux qui parlaient le plus et ce qui parlaient le moins avait diminué de façon significative. Le tout avec peu d’argent mais beaucoup d’investissement des acteurs ! »
Un effet sur le bien-être et la qualité de vie important pour prévenir l’isolement. « On en a conclu que ce dispositif constituait une forme de thérapie non-médicamenteuse », s’enthousiasme Elizabeth Bourgeois. L’outil adapté sera offert à chaque Marpa du territoire, avec une méthode de formation à l’animation. Une expérience qui intéresse même au-delà de nos frontières, puisque l’équipe de chercheurs est allée la présenter début juin lors d’un colloque au Québec, champions de l’approche sociale.