Pour amplifier la dynamique des rénovations énergétiques, comme le souhaite le gouvernement via son plan de relance, il faut créer des ponts entre ceux qui en ont le plus besoin et les dispositifs existants. Les agriculteurs sont de ceux-là. Des logements anciens énergivores, combinés à de faibles revenus et un taux de vulnérabilité qui augmente avec l’âge, c’est le tiercé perdant pour bon nombre d’exploitants actifs et retraités.
La MSA s’est penchée sur la question depuis plusieurs années avec ses partenaires. En Ardèche et dans la Drôme, elle a mené depuis 2014 avec le mouvement associatif Soliha (Solidaires pour l’habitat), les Compagnons bâtisseurs et la Fondation Abbé Pierre une expérimentation ciblée sur l’habitat indigne. Pour renforcer le dispositif au niveau régional, le programme devient Aééla et est lauréat en 2019 de l’appel à projets lancé par l’État en 2018. Il est piloté par MSA Services Rhône-Alpes en partenariat avec MSA Services Auvergne, l’union régionale Soliha, les Compagnons bâtisseurs et Auvergne-Rhône-Alpes Énergie Environnement, avec le concours des quatre MSA de la région. Une force d’intervention de choix avec une mission : aller chercher ces agriculteurs isolés pour leur proposer un diagnostic de leur logement et les accompagner dans leurs démarches, gratuitement.
Sylvie, elle, avait déjà engagé des démarches pour aider ses parents retraités quand on l’a dirigée vers Aééla. Dans leur grande maison en pierre de plus de 300 ans typique du Vercors située à 900 mètres d’altitude, attenante à l’exploitation, ils se chauffent avec une cuisinière à bois. À 75 et 82 ans, les matins d’hivers sont rudes. « Mon père a eu des difficultés à marcher l’année dernière. Il s’est fracturé une vertèbre en mars après une mauvaise chute, ce qui a été assez invalidant. Ils ont toujours vécu comme ça, mais là ça devient une corvée. Je leur ai dit que s’ils voulaient rester, il fallait mettre un minimum de choses en place. » Infirmière en Ehpad, Sylvie est pleinement consciente de la fragilité de la situation. « Il faut se projeter, anticiper et ne pas attendre le dernier moment ; le jour où ils ne pourront plus se lever, il faudra qu’ils aient au moins du chauffage. Au début, ils étaient un peu réticents, comme pour beaucoup de choses. Ils ne se plaignent jamais de rien et pourraient finir leur vie comme ça. »
Après plusieurs appels, elle finit par être dirigée vers Méline Bornua, coordinatrice régionale à MSA Services Rhône-Alpes, qui lui parle du dispositif. Le temps d’un confinement… et le technicien Soliha a pu enfin visiter la maison en juin dernier. Un état des lieux et un diagnostic énergétique sont réalisés, ainsi que des préconisations de travaux. Jusqu’à trois scénarios sont donnés intégrant des travaux plus ou moins importants, les souhaits du propriétaire et plusieurs subventions possibles correspondantes. Un coût estimatif total est indiqué pour chacun, ce qui permet d’avoir une idée du reste à charge.
« Une fois ce rapport obtenu, ils ont plusieurs choix, indique Méline Bornua : ne rien faire, c’est sans engagement ; s’ils décident de faire des travaux, ils peuvent lancer des démarches seuls de leur côté, être accompagnés par Soliha (ou l’opérateur en place sur leur territoire) et/ou par les Compagnons bâtisseurs via l’auto-réhabilitation accompagnée, sur tout ou partie des travaux. » Cette dernière consiste à effectuer soi-même les travaux avec l’aide des Compagnons et d’artisans. Une possibilité intéressante pour diminuer les coûts mais qui n’est pas accessible pour tout le monde, dépendant de ses capacités physiques, de ses compétences, et du temps à y consacrer.
Après étude des devis, les parents de Sylvie vont pouvoir passer au chauffage électrique, isoler la maison et en profiter pour faire des travaux d’adaptation de la salle de bain, en parallèle du dispositif. « Aééla reste peu connu et c’est dommage, pour une fois qu’on s’intéresse aux conditions de vie des agriculteurs, conclut l’infirmière. Il faut le faire connaitre car il doit y en avoir beaucoup qui en auraient besoin, mais qui ne veulent pas s’engager dans des démarches compliquées. »
Atteindre les personnes
Mais, justement, comment atteindre ceux qui n’ont pas de Sylvie et qui auraient peur de se lancer ? « Les dispositifs de rénovation énergétique peuvent être complexes, convient Pascale Nejjar-Pernot, chargée de coordination et animatrice Aééla pour MSA Services Auvergne. On ne sait pas forcément à qui s’adresser, on peut aussi être harcelé par des sociétés dont on ne connaît pas le sérieux… »
Pour toucher un maximum de personnes, plusieurs actions de sensibilisation ont été menées, malgré l’obstacle majeur de la crise sanitaire. « Nous avons communiqué auprès de l’ensemble des acteurs de terrain, continue Pascale Nejjar-Pernot. Les mairies notamment sont des relais de proximité très importants pour nous. Nous y avons tenu plusieurs permanences entre octobre et décembre sur le territoire. Pour atteindre ceux qui sont un peu en retrait, ce contact direct fonctionne, nous avons eu en moyenne une inscription par jour. D’autant plus qu’avoir un interlocuteur fiable rassure. Le diagnostic, lui, permet d’avoir une vision globale du logement, une visibilité sur les choix techniques et les aides financières disponibles, et toutes informations pour bien décider. C’est une étape essentielle. »
L’occasion également d’envisager d’autres problématiques, comme l’adaptation du logement, voire de révéler certaines difficultés. Les travailleurs sociaux sont ainsi associés à l’action pour renforcer les soutiens. « Si des difficultés apparaissent pour la réalisation des travaux, nous essayons de voir comment on peut aider, au niveau financier mais aussi de l’accompagnement social, confirme Marie-Paule Le Guen, responsable de l’action sanitaire et sociale à la MSA Alpes du Nord. On est disponible pour aider à lever certains freins ou orienter des personnes qui n’ont pas eu le questionnaire. Le tout est d’être proactif, d’aller vers eux pour proposer nos services mais sans qu’ils ne se sentent en obligation. C’est du cousu main, même si le confinement n’a pas facilité le travail.» Tandis que certains chantiers démarreront, la sensibilisation se poursuivra jusqu’à l’été prochain… pour continuer d’ouvrir d’autres portes, on l’espère, bien au-delà.
« On essaie de faire une communication large »
Pour intégrer le programme, il faut être exploitant agricole, actif ou retraité, propriétaire occupant de son logement et résider en Auvergne-Rhône-Alpes. Il faut ensuite compléter un questionnaire qui permettra à Soliha de préparer sa visite. Nous l’avons envoyé dans un premier temps à un peu moins de 20 000 agriculteurs. On essaie de faire une communication large auprès des partenaires locaux, des mairies et collectivités locales, associations, JA, coopératives… tous ceux qui peuvent toucher notre cible.
Avec la crise, on a réfléchi à d’autres modes de sensibilisation. Par exemple, la mairie de Vesc, dans la Drôme, est très impliquée et a proposé de faire un courrier commun à ses agriculteurs actifs et retraités. Certaines petites mairies sont même allées sonner chez les personnes qu’elles connaissaient. On a également réalisé un support pédagogique à destination des élus MSA. Seules la Savoie et la Haute-Savoie sont sous représentées car les Compagnons Bâtisseurs ne peuvent pas s’y déplacer pour l’instant.
Nous avons près de 1 200 demandes de diagnostic, dont la moitié est intéressée par l’auto-réhabilitation, et plus de 400 visites ont été réalisées. Nous visons un objectif de 1 300 diagnostics et 250 auto-réhabilitations accompagnées.
« Les agriculteurs ont souvent des logements mal isolés »
Certains ont déjà fait des rénovations eux-mêmes. Mais souvent la priorité est l’exploitation et moins le confort. De plus, ils ont peu de temps pour se renseigner sur les possibilités de rénovation et d’aides. Il faut aller vers eux. Cette sensibilisation est importante pour informer les personnes concernées, discuter avec elles de façon neutre et indépendante, sans qu’il y ait forcément de perspective de travaux derrière. Lors des visites, les ménages apprécient d’avoir des conseils personnalisés car beaucoup ont une défiance envers les démarchages téléphoniques et ne connaissent pas forcément les aides disponibles.
Et si lors du diagnostic on tombe sur des problématiques plus larges, d’autres besoins comme les toitures ou l’adaptation du logement, on peut également en parler. On n’a pas encore assez de recul sur l’aboutissement de l’action mais il y a un grand nombre de demandes de diagnostic. Les premiers effets sont là.
Soliha a également lancé en parallèle un camion aménagé itinérant pour faire de la prévention pour le maintien à domicile des personnes âgées et la lutte contre la précarité énergétique sur les territoires.