« À partir du moment où on découvre les premiers poussins morts ça va très vite », témoigne Jean-Michel Larrère, 55 ans, éleveur de poulets et de cailles à Montaut, dans les Landes, élu cantonal depuis dix ans et membre du conseil d’administration de la MSA Sud Aquitaine depuis 2020. Après les prélèvements des services vétérinaires sur son exploitation, le couperet, implacable, tombe le 10 janvier : influenza aviaire. « Même si je n’étais pas étonné par cette annonce, car tous mes voisins avaient été touchés, lorsque j’ai compris que le virus était chez moi, les larmes me sont montées aux yeux. Tant que c’est chez les autres, c’est dur, mais quand ça arrive chez soi, c’est un vrai cataclysme. » Chez lui 12 000 poulets seront euthanasiés.
« Après un an de Covid, certains éleveurs sont assommés. »
Mais pour lui comme pour les centaines d’autres éleveurs de canards, poulets, cailles, pintades, chapons, pigeons et autres palmipèdes et gallinacés touchés par la pandémie, pas le temps de sécher ses larmes, il faut rapidement se mettre au travail. Au programme : le respect d’un protocole de nettoyage draconien. « On doit quasiment mettre le bâtiment à l’état neuf », explique-t-il. Dix jours non-stop de lessivage complet, suivis par une nouvelle désinfection des services vétérinaires de la Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP). Le temps et les doubles désinfections font l’efficacité de la lutte contre cet ennemi invisible. « Il faut en même temps entamer les démarches pour enclencher les indemnisations, en récupérant les factures liées à la couvée touchée, fournir les bons de livraisons, les factures d’aliments… », souligne-t-il.
Un choc psychologique
« Pour beaucoup d’éleveurs, surtout ceux qui sont touchés pour la première fois, c’est d’abord un choc psychologique, témoigne le Landais. Il faut s’imaginer ce que ça représente de voir les services de l’État débarquer chez vous pour dépeupler vos animaux. C’est une véritable armada qui se déplace avec trois camions, deux de désinfection et un autre pour l’euthanasie, plus un camping-car pour le déjeuner des équipes de vétérinaires. Les gens qui ne s’y attendent pas peuvent être choqués. Heureusement, on a la chance dans nos villages d’avoir la solidarité et un réseau d’élus MSA attentifs qui ont permis de calmer les choses avant qu’elles ne dégénèrent. Il faut comprendre qu’après un an de Covid et les pertes de débouchés qui vont avec, certains éleveurs sont assommés et d’autres sont à fleur de peau. Dans les Landes, en temps normal, les festivités rythment l’année. On vient de passer une année sans se voir avec pour seul horizon le travail même le samedi et le dimanche. Aujourd’hui, on ne peut plus aller les uns chez les autres pour se réconforter. On a géré les situations difficiles par téléphone et par visioconférence mais ce n’est quand même pas la même chose. On perd le lien social et celui-là il est dur à récupérer. C’est maintenant que vont arriver les problèmes financiers. On va voir comment on va être indemnisé. La volonté de l’État est là mais pour l’instant il n’y a aucune date de reprise de l’activité en vue. Reste l’épineuse question de ceux qui ne sont pas encore dans les réseaux d’indemnisation parce qu’ils n’ont pas été foyer mais dont la ferme se trouve dans une zone de protection et qui ne peuvent pas travailler. »
« Ils sont très attachés à leurs animaux »
Malgré ses vingt-trois ans à la MSA Midi-Pyrénées Sud, Philippe Nonie, conseiller en prévention des risques professionnels, ne s’habitue pas à la détresse des éleveurs. « Ils sont très attachés à leurs animaux. Ce n’est pas parce qu’ils les envoient à l’abattoir qu’ils ne les aiment pas. Quand ils sont gazés par les services vétérinaires, ils nous le disent tous les jours, il y a une partie d’eux-mêmes qui part avec. Certains ont vécu les crises aviaires de 2015, 2017 et maintenant 2021. Ces épisodes laissent des traces dans les esprits mais aussi dans les trésoreries. Ils ont fait ces dernières années d’énormes investissements dans leurs fermes pour se protéger d’une nouvelle épizootie d’influenza aviaire. Pourtant, encore une fois, lorsque le virus s’invite sur un territoire, pratiquement aucune exploitation n’y échappe. Nous appelons systématiquement les exploitants pour recenser leurs besoins, qu’ils soient économiques, sociaux ou moraux. Je suis tous les jours au téléphone jusqu’à 20 heures pour échanger avec eux et essayer de leur apporter notre aide. Pour moi, c’est la concrétisation des valeurs du mutualisme, c’est pour cela que je suis entré à la MSA et que je fais ce métier passionnant. »
Démarche proactive
Cette démarche a également été mise en place à la MSA Sud Aquitaine. « L’appel systématique permet de faire le point avec l’éleveur touché sur sa situation, aussi bien sur le plan économique, familial, psychologique que de ses droits sociaux, explique Delphine Decoursière, responsable de l’action sanitaire et sociale à la MSA Sud Aquitaine. Il nous permet de lui proposer un accompagnement transverse qui colle à ses besoins. On peut par exemple le réorienter vers nos collègues du service contentieux, pour la prise en compte d’un plan d’apurement de sa dette sociale. Nous avons à notre disposition une boîte à outils à destination des exploitants et des salariés pour leur permettre de passer ce cap difficile. Cela peut prendre la forme d’une aide d’urgence de 700 euros versés sous 8 jours pour permettre de parer au plus pressé et de régler les factures de la vie quotidienne. On profite aussi de ce moment-là pour faire le point avec eux sur leur dossier afin de vérifier s’ils bénéficient de la plénitude de leurs droits. Nous avons également la chance d’avoir de bonnes relations avec les conseils départementaux qui facilitent un examen “attentionné” des demandes de revenu de solidarité active (RSA), avec la possibilité de l’accorder à titre dérogatoire et de manière ponctuelle sous conditions. Pour nous, c’est essentiel car on arrive à leur garantir un minimum de revenus de subsistance pendant les mois que dure la période de vide sanitaire qui les empêche de travailler. Ce répit financier leur permet aussi d’attendre les indemnisations versées pour compenser la perte d’activité. »
Un numéro unique dédié
« L’avantage d’un numéro unique dédié à la crise de l’influenza aviaire, mis en place dans chacune de nos caisses, est qu’il permet de recevoir, d’orienter et d’informer efficacement nos adhérents, assure Yolande Mothes, responsable du pôle relations clients à la MSA Sud Aquitaine. C’est nous-mêmes qui faisons ensuite la liaison avec chacun des services concernés pour qu’ils n’aient pas à chaque fois à répéter leur histoire. Les équipes font face car on est au cœur de notre métier, on sent toute notre utilité. »
« On a mobilisé notre cellule de prévention du mal-être dès le premier jour, souligne Laurence d’Aldéguier, présidente de la MSA Midi-Pyrénées Sud. Joëlle Dupuy, la psychologue qui la dirige, et ses collègues font front depuis le début de la crise pour répondre à tous les exploitants touchés. Deux numéros de téléphone spéciaux permettent à tout adhérent concerné de contacter un interlocuteur qui pourra répondre directement à sa demande ou l’orienter sur la personne la plus compétente : des médecins, des conseillers en prévention, en protection sociale, des travailleurs sociaux et des psychologues. Mais au-delà, c’est toute l’institution qui est mobilisée. Nous sommes le régime de protection sociale des premiers kilomètres. Ils ont la particularité d’être très étendus et difficiles d’accès. Une raison de plus pour nous laisser les moyens de pouvoir répondre le plus rapidement possible à nos ressortissants les plus isolés quand ils ont besoin de secours comme aujourd’hui. »
Report de paiement de cotisations et contributions sociales
« La MSA Sud Aquitaine a activé le dispositif de crise dès le 10 décembre. Notre mobilisation est totale, assure Chantal Gonthier, présidente de la MSA Sud Aquitaine. Agents, délégués et administrateurs, tout le monde s’engage au quotidien. L’enjeu est de taille car la filière palmipède représente un emploi agricole sur quatre dans les Landes. Nous avons rencontré les préfets des Landes et des Pyrénées-Atlantiques pour les alerter sur la situation des éleveurs et les informer de nos actions. Nos soutiens peuvent prendre la forme d’un report de paiement de leurs cotisations et contributions sociales, possible grâce au soutien de la caisse centrale de la MSA, l’activation d’un service de remplacement pour souffler en passant par un accompagnement social individualisé. »
« Ce qui est difficile à vivre pour ces éleveurs maintenant, c’est l’absence de perspective, poursuit Chantal Gonthier. Le virus a surpris par sa virulence et sa contagiosité et, malgré les investissements colossaux dans la biosécurité et la mise sous abris des volatiles qu’ils ont entrepris depuis la dernière crise, le virus s’est propagé à vive allure en prenant de vitesse tout le monde. Alors que lors de la dernière crise, il parcourait 5 km par semaine, là il le fait en une journée. Il faut surtout rappeler que l’influenza aviaire n’est pas transmissible à l’homme et qu’il faut manger français pour soutenir cette filière emblème de tout le sud-ouest. »
Contacts :
Influenza aviaire MSA Sud Aquitaine
Tél. : 05 59 80 73 49
polerelationclient.blf@sudaquitaine.msa.fr
Influenza aviaire MSA Midi-Pyrénées Sud
Tél. : 06 35 18 59 01 – 06 84 78 98 42
Photos : DR et © Juliette Jem/Solidel
[#InfluenzaAviaire] « Il y a une psychologue de la #MSA qui m’a contacté deux fois. On est très suivi, parce que pour tous les acteurs du secteur, c’est très dur de vivre encore ça ». A l’arrêt forcé, Anatole ne pourra pas fournir ses clients avant août 👉https://t.co/XqGkmaLJml pic.twitter.com/yCkttHCdtM
— Hugues Pollastro (@HuguesPollastro) March 29, 2021