« J’avais 12 ans et je voulais mourir. Je n’en pouvais plus. Il fallait trouver un moyen pour que ça s’arrête. Les réseaux sociaux peuvent vous faire basculer. » Si Juliette a accepté de témoigner lors de la conférence sur le cyberharcèlement organisée le 16 mars par les élèves de BTS support action managériale du lycée Saint-Paul Saint-Georges de Vannes, avec le soutien des délégués MSA du canton de Vannes-Séné, de la MSA Portes de Bretagne, c’est d’abord parce que l’une de ses amies le lui a demandé. « Julie, qui a coorganisé la conférence, a été l’une des seules personnes à avoir été là pour moi au pire moment », tient-elle à préciser. « Je le fais aussi pour alerter sur la situation de centaines de victimes silencieuses. Pour leur dire qu’elles ne sont pas seules, que c’est un long chemin mais qu’on peut se reconstruire. »

Aujourd’hui, Juliette a 18 ans. Elle va mieux mais sa vie aurait pu s’arrêter il y a cinq ans si elle n’avait pas été aidée. L’enfant martyrisée par ses camarades sur les réseaux sociaux est devenue une brillante étudiante en psychologie. Elle se destine à une carrière de criminologue. « En choisissant cette voie, ma démarche est d’abord de comprendre le processus du passage à l’acte criminel. »

Du harcèlement, il est passé au cyberharcèlement

Pour elle, le harcèlement a commencé par ce qu’on aurait pu prendre pour une simple histoire de disputes d’enfants. « Un petit voisin de mon âge turbulent et meneur, qui m’a prise en grippe dès la maternelle, a essayé de m’isoler. Avec le recul, je me rends compte que j’ai commencé à être harcelée depuis toute petite. Il a été violent, parfois physiquement, mais le plus souvent verbalement et moralement pendant toutes mes années d’école primaire. C’est au collège, avec la découverte des réseaux sociaux, que la situation est devenue vraiment invivable. Du harcèlement, il est passé au cyberharcèlement. Alors que jusque-là les insultes, les moqueries et les dénigrements cessaient quand je rentrais chez moi, ils ont alors redoublé d’intensité une fois à la maison via Facebook ou Instagram. Je n’avais plus de répit. »

Le cyberharcèlement est défini comme un acte agressif, intentionnel, perpétré par un individu ou un groupe d’individus au moyen de formes de communication électroniques, de façon répétée, à l’encontre d’une victime qui ne peut facilement se défendre seule.

Rappel de droit
La conférence en ligne organisée par les élèves du lycée vannetais a réuni autour de Juliette, psychologue, avocat et intervenants scolaires. Ils appellent tous à la vigilance pour éviter les drames. – © Lycée Saint-Paul Saint-Georges

Petit rappel de droit : le cyberharcèlement est défini comme un acte agressif, intentionnel, perpétré par un individu ou un groupe d’individus au moyen de formes de communication électroniques, de façon répétée, à l’encontre d’une victime qui ne peut facilement se défendre seule. L’infraction est également constituée quand ces propos ou comportements sont infligés par plusieurs personnes de manière concertée ou à l’instigation de l’une même si ces personnes n’ont pas agi de façon répétée.

Un phénomène de meute

« Qu’il s’agisse d’intimidations, d’insultes, de moqueries ou de menaces répétées en ligne ou de propagation de rumeurs, à la différence du harcèlement où la victime pouvait souffler en rentrant chez elle, avec le cyberharcèlement, l’espace et le temps ne sont plus des frontières, prévient Cyril Markt de Iceberg Digital, structure spécialisée dans le conseil à l’usage des outils numériques, qui intervient régulièrement dans les établissements scolaires. Même quand on est rentré dans sa chambre d’enfant, on va continuer à recevoir à travers les réseaux sociaux des messages ou des photos dégradantes. »

Petit à petit et presque imperceptiblement, un phénomène de meute avec un meneur et une foule de spectateurs plus ou moins actifs, composée de camarades d’école complices, s’est mis en place. Consciemment ou inconsciemment, ils ont été les acteurs – parfois sous couvert de l’humour – d’un lent mais minutieux processus de destruction psychologique qui a fait des ravages dans la petite tête de Juliette au moment où elle venait d’entrer dans l’adolescence. Une période où l’on construit son identité et sa personnalité et où la popularité ou l’absence de celle-ci revêtent une grande importance dans la cour de récré. « Ils se moquaient de mon physique et m’insultaient au quotidien dans leur groupe de potes sur les réseaux. Ils mettaient des commentaires à caractère sexuel sous mes photos. Je suis restée – je ne l’ai su que plus tard, même longtemps après mon départ de ce collège – un sujet de défoulement sur les groupes d’échanges entre élèves de mon établissement. »

Descente en enfer progressive

Les conséquences psychologiques pour la jeune fille sont dévastatrices. Un stress et une fatigue morale intenses entraînent des absences à répétition, des résultats scolaires en chute libre jusqu’au moment où se rendre au collège est devenu pour elle une source d’angoisse presque insurmontable. « Je mentais à mes parents en faisant semblant d’être malade ou je séchais. Lorsque j’y allais, je rendais page blanche. Après avoir essayé d’en parler au collège et qu’on m’a répondu que ce n’était qu’une banale dispute entre collégiens de plus, j’ai décidé de me taire. J’ai cru que c’était de ma faute, que je n’avais à m’en prendre qu’à moi-même. J’ai commencé à me faire du mal, à avoir envie de mourir. Je ne pouvais pas me regarder dans un miroir sans pleurer. Je ne supportais pas l’image qu’il me renvoyait. »

Scarifications

Les scarifications qu’elle inflige alors à son corps d’enfant, ainsi qu’un message de détresse envoyé à sa mère où elle évoque de façon explicite sa volonté d’en finir, vont faire comprendre à ses parents le martyre psychologique vécu par leur fille. « C’était un trop-plein pour moi, je ne voulais plus voir personne, je voulais juste qu’on me laisse tranquille, explique-t-elle sobrement. Me retrouver coupée du monde, dans un hôpital, sans téléphone ni réseaux sociaux, m’a permis de commencer à prendre du recul sur ce que je vivais et à comprendre que je n’étais pas responsable de ce qui m’arrivait. »

La conférence a été organisée avec le soutien des délégués de la MSA Portes de Bretagne dans le cadre de leurs actions en prévention santé menées sur leur territoire.

« On peut regretter que Juliette n’ait pas reçu l’écoute qu’il fallait. Il n’y a malheureusement pas eu de sanctions, ni pénale, ni disciplinaire au niveau du collège, insiste Me Stéphanie Derveaux, avocate au barreau de Vannes. Ce qu’on peut conseiller est de garder des éléments de preuve, de se faire accompagner par un avocat, de porter plainte pour faire cesser ces agissements et de solliciter une indemnisation. Parallèlement, une procédure disciplinaire peut être engagée au sein de l’établissement scolaire. La jurisprudence précise qu’on peut y avoir recours si le harcèlement se fait en lien avec la qualité d’élève, c’est le cas si le cyberharcèlement a lieu sur le groupe classe d’un réseau social. »

« “C’est pour rire, lol !” n’est absolument pas valable »

« Le “c’est pour rire, LOL, c’est pas grave !“ n’est absolument pas valable. Eh bien si, c’est grave, il y a des choses qui ne se font pas, s’insurge Gaëtane Markt de Iceberg Digital. Non, on ne rit pas de tout. Les conséquences, on le voit avec Juliette, sont trop graves pour laisser faire. Je m’adresse aux parents : dès que vous mettez un smartphone entre les mains de vos enfants et qu’ils ont accès à un réseau social, ils ont besoin de vous pour les protéger comme potentielles victimes mais aussi comme potentiels harceleurs. »

Juliette finira par changer de collège. Le vrai début de sa reconstruction. « À partir de là, je me suis tout de suite sentie mieux, on m’a dit en arrivant que si j’avais le moindre problème, il fallait que j’en parle et qu’on ne laisserait pas les choses se faire. Changer d’air et rencontrer de nouvelles personnes bienveillantes envers moi m’ont vraiment beaucoup aidée. »

« Me retrouver coupée du monde, dans un hôpital, sans téléphone ni réseaux sociaux, m’a permis de commencer à prendre du recul sur ce que je vivais et de comprendre que je n’étais pas responsable de ce qui m’arrivait. »

Juliette

Plus forte aujourd’hui, la jeune fille ne cache pas sa fragilité. « J’avoue que, des années après, j’ai encore des séquelles. J’ai toujours du mal à croiser mon reflet dans le miroir. Je ne me sens toujours pas bien dans ma peau. Je veux passer le message qu’il faut être vigilant aux signes envoyés par les enfants que vous côtoyez dans le privé ou dans le cadre professionnel. Le mal-être peut se voir. Des notes qui baissent subitement ou un isolement qui s’installe chez un enfant doivent vous alerter. Moi, par exemple, je ne cherchais pas à cacher mes scarifications. Au contraire je voulais qu’on les voie parce que je ne savais pas comment demander de l’aide. Je veux aussi dire de faire attention aux mots que vous écrivez sur les réseaux sociaux, ou aux posts que vous likez car certains d’entre eux peuvent ruiner la vie de quelqu’un de fragile. Des gens se suicident pour ça. »

S’occuper des victimes, mais aussi des harceleurs

Des jeunes déboussolés franchissent de plus en plus la porte de la maison des adolescents de Vannes. « Il faut d’abord s’occuper des victimes, déclare Gisèle Kerdrain, psychologue au sein de la structure. Ces ados à l’estime de soi abîmée devront passer par une période de reconstruction. Les maisons des adolescents sont là pour les accueillir partout en France et les y aider.

« Mais il faudra aussi s’intéresser aux harceleurs chez qui on perçoit un assèchement affectif, poursuit la thérapeute. Avec les réseaux sociaux, on ne voit plus les effets de ses actes, on ne voit pas l’autre en train de se scarifier dans sa chambre tout seul effondré. Il y a une perte du réel qui n’existe plus sauf quand il fait une apparition par la mort, comme celle d’un enfant qui se jette par la fenêtre parce qu’il n’en peut plus. Pour ces personnes, si à un moment il n’y a pas un coup d’arrêt et une sanction qui est prise, le risque est qu’elles reproduisent ce mode de fonctionnement plus tard en étant adulte dans leur milieu professionnel ou familial. Il faut aussi avoir une pensée pour les parents qui apprennent ce qui a été dit sur leurs enfants et pour qui c’est dur à encaisser. Certains arrivent chez nous effondrés car ils ont découvert les photos nues de leur fils ou de leur fille, balancées sur la toile aux yeux du monde entier. »


Retrouvez l’intégralité de la conférence sur le site Internet de la MSA Portes de Bretagne.

Photo d’ouverture : © Sylvain Cambon/CCMSA Image