«Une femme, une sage-femme en salle de naissance». Le credo, relayé sur les réseaux sociaux, fait également l’objet d’une pétition lancée par Anna Roy, sage-femme et chroniqueuse de l’émission télévisée La Maison des maternelles.

Il résonne au cœur des plus beaux slogans en faveur de la démocratie, tel l’anglo-saxon One person, one vote. C’est dire si le combat prend l’ampleur d’un enjeu de société. Les maisons de naissance participent de cet engagement.

Accoucher comme à la maison

En France, ce sont des environnements autonomes «comme à la maison» de suivi personnalisé des grossesses physiologiques (non médicalisées), de l’accouchement et de ses suites, sous la responsabilité exclusive des sages-femmes. Les parents y jouissent donc d’un accompagnement global par une même accoucheuse, du début de la grossesse aux premières semaines du bébé.

Trophée Harmonie mutuelle de l’économie sociale et solidaire 2016, un prix qui récompense des entreprises qui mènent des actions dans les domaines de la prévention de la santé, la promotion de la santé ou l’accompagnement et le soutien aux malades, aux familles et aux personnes en situation de handicap.

C’est une option pour les femmes enceintes en bonne santé qui ne présentent qu’un faible risque de complications. La sécurité est assurée par la proximité avec un service de maternité dont chaque maison de naissance est partenaire, ce qui permet un transfert rapide de la parturiente ou du nouveau-né, si nécessaire.

Compte tenu de la moindre médicalisation dans ces structures (pas de personnel médical autre que les sages-femmes, pas de plateau technique) le coût global de prise en charge d’un accouchement est inférieur à celui réalisé en maternité de niveau 1.

Longue gestation

L’aventure hexagonale des maisons de naissance commence en 2013. Le 6 décembre, la loi qui autorise la création de ce type de structures à titre expérimental est votée. La proposition est portée par la sénatrice du Rhône, Muguette Dini. Elle réussit là où la précédente tentative, soutenue depuis la fin des années 1990 par Bernard Kouchner, alors secrétaire d’État chargé de la santé, se heurte à des réticences professionnelles et administratives. La première proposition de loi, en 2010, est censurée par le Conseil constitutionnel !

Sylviane Gavillot est chargée
de projet à l’animation des territoires de la MSA d’Alsace.

Quelques années plus tard, si les mentalités évoluent timidement, elles évoluent dans le bon sens. Certes aujourd’hui, seules huit maisons de naissance font entendre leurs gazouillis. Parmi elles, celle de Sélestat, dans le Bas-Rhin, ville de quelque 20 000 habitants nichée à 40 kilomètres environ – à vol de cigogne – au sud-est de Strasbourg.

Douze nouveaux projets

Mais un rapport de l’institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur les structures déjà implantées, présenté au Parlement l’été dernier, s’avère nettement favorable au dispositif. Et la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 l’entérine. « Ainsi, dans le cadre de la pérennisation [des expérimentations], une extension de l’offre est envisagée en tenant compte du besoin local. Il est prévu que la montée en charge des maisons de naissance soit progressive [et qu’elle] atteigne 20 structures à échéance de fin 2022. »

Soit 12 nouveaux projets que les MSA peuvent potentiellement soutenir : dans la Région Grand Est, Strasbourg et Mulhouse sont sur les rangs. Cependant, par rapport à ses partenaires de l’OCDE, la France fait figure de parent pauvre : les États-Unis voient leurs free-standing birth centers émerger dès 1975(1).

Vers l’extrahospitalier

Le château d’eau de Sélestat.

Puis le premier centre de naissance librement choisi apparaît à Berlin, en Allemagne, en 1987 (plus de 150 unités à ce jour). D’autres pays européens emboîtent le pas : le Royaume-Uni (birth centers intrahospitaliers), la Belgique (12 structures autonomes), la Suisse (24), la Suède (8), les Pays-Bas, l’Italie, l’Espagne, l’Autriche.

Ailleurs, l’Australie et le Québec (21) se placent également en pole position. L’une des revendications du collectif national des maisons de naissance est désormais d’« aller plus loin dans le modèle […] pour que puissent exister des maisons de naissance extrahospitalières, dans des conditions évidemment compatibles avec le traitement de l’urgence médicale, comme c’est le cas partout ailleurs en Europe(2) ».

Un temple pour les parturientes

Pousser la porte de Manala – du nom de cette brioche en forme de petit bonhomme préparée par les boulangers de tradition germanique pour la saint Nicolas — c’est comme entrer dans un temple zen : il faut quitter ses chaussures.

Pour un peu, on aurait envie de saluer à la japonaise la sage-femme qui s’approche à pas feutrés pour vous accueillir, Pauline Scherer. L’atmosphère y est enveloppante comme une étreinte. On comprend bien ce qui attire tant de futures parturientes. « Nous refusons régulièrement du monde », explique Pauline d’une voix douce. Pour ménager la dizaine de sages-femmes de la maison de naissance et pour se rapprocher au maximum de l’objectif d’une sage-femme par femme, le nombre d’inscriptions mensuelles est limité à 20.

Rue à Sélestat.

À Sélestat, les sages-femmes sont constituées en deux trinômes ; les autres professionnelles interviennent en soutien. « Dans le trinôme, l’une d’entre elles assure les consultations gynécologiques, les deux autres la préparation à la naissance. Le jour de l’accouchement, l’une des sages-femmes du trinôme est présente, ce qui garantit les liens de confiance, de sécurité et d’intimité avec les parents. »

Dans une chambre froide

Mylène Lacombe est la maman de Lyana, mise au monde par la sage-femme Céline Bruderer le 12 février 2021. Elle que ses amies surnomment « la guerrière » – parce qu’elle a accouché accroupie dans l’eau de la baignoire, sans péridurale(3) – se déclare pleinement satisfaite de son premier accouchement, prête à y revenir !

Lyana et Mylène.

Pour elle, Manala est une « bulle » de bienveillance, loin de l’aspect « chambre froide » des maternités (Lire son témoignage ci-dessous). « À l’hôpital, les sages-femmes n’ont pas le temps de s’occuper de nous comme ici : on ne devrait pas être considérées comme de simples numéros ! » « Maltraiter les sages-femmes, c’est maltraiter les femmes », carillonne Pauline Scherer.

380 poupons à l’heure (actuelle)

Quatorze naissances en 2016, 66 en 2017, 89 en 2018, 72 en 2019, 100 en 2020 et 39 depuis le début de l’année… Avec 380 bébés, la famille Manala s’agrandit. Un engouement qui n’est pas que local. Selon une récente étude menée par Ipsos pour le collectif des parents des maisons de naissance, « Près d’une femme sur cinq souhaite ou aurait souhaité de manière certaine un accouchement en maison de naissance, ce qui représenterait plus de 130 000 naissances par an ».

Quant à bébé Lyana, dont le prénom est un dérivé de Liane, elle n’a peut-être pas fini d’entretenir des liens avec Manala. Les activités de la maison de naissance ne s’arrêtent pas au suivi de la grossesse et à l’accouchement des jeunes mamans.

Rue à Sélestat.

Elles comprennent également l’accompagnement à la parentalité et le soutien à la petite enfance par l’information, la sensibilisation et la prévention autour du développement d’actions et d’ateliers tels que : la dépression du post-partum, la place du père, l’arrivée d’un enfant dans la vie de couple, le maternage, l’allaitement et le portage, les ateliers d’éveils pour tout-petits. Un nid où il fait bon naître, pioupiouter et grandir, en famille.

(1) L’Oncle Sam héberge désormais plus de 300 de ces structures.
(2) Consulté le 14 mai 2021 sur le site mdncalm.org/fin-de-lexperimentation-revendications.
(3) En France, 82 % des femmes qui accouchent par voie basse ont une péridurale (chiffres de l’enquête périnatale 2016 de l’Inserm, consultables sur le site enp.inserm.fr).

«Le Rêve» est une commande publique d’art, réalisée en 1993 à Sélestat par Sarkis. Sur un mur d’enceinte des anciens remparts, en bordure de l’Ill, l’artiste a installé 310 plaques de rue correspondant aux rues de Sélestat en 1993. Elles portent des bribes de textes : courtes phrases, fragments de poèmes, invitant à la rêverie.

Sylviane Gavillot : « Une demande de nouveaux services à domicile »

La maison de naissance constitue un maillon supplémentaire dans l’action engagée par la MSA dans le domaine de la famille. Celui-ci vient compléter les structures d’accueil et les actions déjà soutenues dans ce domaine : la santé des adolescents, l’accueil périscolaire, les haltes-garderies, les micro-crèches. Le programme des activités de la maison de naissance est élaboré avec les parents bénévoles en lien avec les sages-femmes et des intervenants extérieurs. Il pourrait tout-à-fait intéresser MSA Services sur la question des nouveaux besoins d’accompagnement au retour à domicile relevés par les sages-femmes qui suivent les parents et le bébé après la naissance. Des besoins qui concernent tant les parents qui ont fréquenté la maison de naissance que pour ceux qui sortent de la maternité. La demande de nouveaux services à domicile, venant renforcer des heures d’aide-ménagère ou familiale, pourrait faire l’objet d’un diagnostic et d’une étude d’opportunité pour leur développement ou leur création. Les jeunes parents sont souvent très démunis dans les changements induits par les charges familiales, sans l’aide de leurs proches ou en milieu rural, moins pourvu en services : accompagnement autour des tâches quotidiennes au retour à domicile, éducation à la gestion du budget familial qui évolue, conciliation de la vie de couple avec l’arrivée de bébé, puériculture – soin et pharmacie familiale, santé et environnement – qualité des matériaux et des produits de la maison, etc.


Mylène Lacombe et Lyana, une jeune maman et sa petite lionne

J’ai pris connaissance de Manala par l’entremise d’une amie psychologue qui pensait que la structure correspondrait à ma philosophie : la bienveillance, le respect. J’ai eu la chance de trouver une place. Le futur papa n’était pas rassuré par ce choix mais après avoir rencontré le trinôme de sages-femmes, il était conquis. Ici j’ai tout adoré : je n’aurais pas imaginé mieux pour un premier accouchement ! Pendant ma grossesse, j’ai suivi quatre séances d’hypnose prénatale : ça m’a appris à envisager autrement la douleur. Je dirais même que la douleur semble moins douloureuse. Je suis arrivée à 17 h 30 et un peu plus de trois heures après, à 20 h 49, Lyana naissait. Nous avions choisi la chambre rose sans connaître le sexe du bébé : une lumière tamisée, une déco sympa, des rideaux colorés, un lit double, un environnement cocooning… Avec Céline, notre sage-femme, la communication se faisait par gestes. J’étais dans ma bulle. En arrivant, on ne m’a pas dit de combien de centimètres mon col de l’utérus était dilaté, pour éviter le sentiment de découragement, par exemple. J’ai accouché en position accroupie dans l’eau. C’est aussi un avantage de la maison de naissance, cette liberté pendant le travail. À l’hôpital, quand vous êtes allongée sur le dos les pieds dans les étriers dans votre lit, comme aimantée, ça peut augmenter la douleur. Je n’ai pas eu d’épisiotomie. Le retour à domicile a pu se faire très rapidement, le lendemain matin. Les sages-femmes venaient nous voir à la maison tous les jours la première semaine, pour la pesée, l’allaitement, les conseils… Lyana a eu son premier bain au bout d’une semaine. C’est son papa qui le lui a donné.


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