Les radiateurs ont été montés. Une douce chaleur enveloppe les agriculteurs. Ils sont assis en cercle, les yeux fermés. « On s’autorise un moment de rupture avec le monde extérieur. Lâchons prise, tout simplement. » La voix suave de la sophrologue guide le petit groupe vers la méditation.
Ce 8 février, à l’auberge du parc de Baudricourt (Vosges), la MSA Lorraine a invité les exploitants et les salariés agricoles du secteur à faire une pause. Pour échanger sur leur travail mais aussi pour s’accorder un temps pour eux.
Délégués, service social et service prévention des risques professionnels ont rassemblé leurs forces pour proposer à la vingtaine d’agriculteurs présents des ateliers bien-être et prévention des accidents et des risques psycho-sociaux. Après les succès de Toul et de Tucquegnieux (Meurthe-et-Moselle), c’est le troisième forum qu’ils organisent sur ce modèle.
Démotivation, fatigue, angoisse
Pour l’équipe, il est important de proposer des actions face à un malaise agricole de plus en plus palpable : « On sent le mal-être sur les exploitations, confie Béatrice Dran, travailleur social à la MSA Lorraine. Une démotivation, beaucoup de fatigue, des contraintes qui augmentent, l’angoisse de ne pas pouvoir faire vivre sa famille ou tout simplement de ne pas avoir de temps à partager avec ses proches ».
Les agriculteurs prennent beaucoup dans la figure.
Pour Nathalie Thomas, éleveuse et administratrice MSA, « il y a un vrai besoin de se retrouver pour prendre conscience qu’ils ne sont pas seuls à vivre des choses difficiles. Les agriculteurs prennent beaucoup dans la figure, ce n’est pas facile à porter ».
En conférence avec Jean-marc Oudot, médecin du travail, ils réalisent que chacun vit les mêmes difficultés. Ils évoquent la solitude sur les exploitations, l’impuissance face aux aléas climatiques, la lourdeur des tâches administratives, les cadences et les journées sans fin…
Redonner du sens au travail
Dominique Billot, psychologue, les invite à faire le point sur ce qui les tient malgré tout dans la profession : le contact avec la nature et les animaux, la beauté de créer quelque chose, le sentiment de faire quelque chose d’utile, l’avantage d’être son propre patron… font l’unanimité. « Le travail joue un rôle important dans notre développement en tant qu’être humain, explique-t-elle. Il permet d’avoir un sentiment d’accomplissement et d’efficacité personnelle. Il faut se recentrer sur ses valeurs dans les moments difficiles pour redonner du sens à son travail. »
Les conseillers en prévention de la MSA Lorraine apportent des informations sur la prévention des chutes de hauteur et sur la manipulation des bovins, deux domaines particulièrement accidentogènes en agriculture. Quand le corps est le premier outil de travail, il faut savoir le préserver.
« Il faut aussi savoir prendre soin de soi. C’est ce dont nous voulons les convaincre aujourd’hui », explique Laurence Adloff. Plusieurs ateliers bien-être sont ainsi proposés. Celui de Fanny Beckrich, diététicienne, fait la part belle à l’alimentation antistress avec, notamment, un allié qui ravit les gourmands : le chocolat. « Manger équilibré veut aussi dire se faire plaisir ! » Attention cependant aux contradictions en matière d’hygiène alimentaire : « Il faut bien distinguer le gout sucré de la concentration en sucre. »
Corps en souffrance
Priscilla Cholez et ses confrères de l’association Bien-être et compagnie, accueille les agriculteurs dans un espace aménagé, séparé par un rideau noir. Elle prodigue des massages profonds en insistant sur le dos, la nuque, les bras et les mains. « Ils ont vraiment du mal à se laisser aller. On sent qu’ils ont un travail physique avec une charge mentale importante. Ce sont des corps en souffrance ou abimés. Ils tirent trop sur la corde. » La pause bien-être est salutaire.
« On n’a pas l’habitude de se laisser dorloter. Ça fait du bien ! », confie Monique, qui se relève de la chaise de massage, le visage apaisé. Pour cette éleveuse de 65 ans, « c’est de plus en plus difficile ». La traite sollicite énormément ses bras.
Pour Régine Carré-Aubertin, exploitante et présidente de l’échelon local de Neufchâteau, les tensions viennent de la charge administrative : « C’est beaucoup de stress. J’en deviens insomniaque. » Elle soigne tant bien que mal son anxiété à coup de tisane aux plantes et d’exercices de respiration. Inutile de préciser qu’elle teste aujourd’hui l’atelier sophrologie.
Dans la salle désormais surchauffée, la demi-heure d’initiation se termine. La quiétude règne sur le cercle d’agriculteurs. Ils se sont autorisés un moment de rupture avec le monde extérieur. Ils ont mis leurs soucis entre parenthèses. Il est maintenant temps de rouvrir les yeux…