Accueil chaleureux réservé au public comme aux pensionnaires à la Marpa de la résidence Les Aïauts.

« Ça ne m’intéresse pas », assène Germaine au por­teur de projets, Nicolas Schottet, qui présente une carte payante baptisée « Payelo ». Celle-ci peut être prêtée aux intervenants à domicile (auxiliaire de vie, femme de ménage) pour couvrir les dépenses courantes néces­saires lors de leur mission. Avec ce mode de paiement, il n’y a plus le risque d’un abus de leur part puisque l’argent reste sous contrôle des aidants familiaux qui les sollicitent et qui sont les destinataires de l’invention, gérable depuis une application. Les sommes dépensées sont vérifiées et la carte est alimentée dès qu’elle se vide. Les arguments de la « confiance et de la sécurité » promises par cette innovation ne font guère mouche chez nos testeurs de 80 printemps et plus, peu disposés à s’en laisser conter. Et ils le montrent avec une franchise dont la viva­cité et la vigueur n’ont d’égales que celles des enfants. La vérité si cruelle parfois ne sort donc pas seulement de la bouche des gamins. Pour cet après-midi d’ateliers baptisé
« concept crash », elle emprunte celles des papis et mamies de la Marpa de la résidence Les Aïauts où ils vivent.

Imperturbable, le jeune homme continue d’égrener de sa voix douce les avantages apportés par sa carte payante sécurisante. Derrière le rejet, percent la peur d’être roulé et l’évidence qui crève les yeux : la carte n’est pas faite pour eux puisqu’ils résident dans une Marpa, une maison d’accueil et de résidence pour l’autonomie. La structure se charge de les accompagner pour tous ces services du quotidien. À l’écoute, elle veille au grain et au bien-être de ses pension­naires qui peuvent la solliciter s’ils le souhaitent. Le souci de leur sécurité comme de leur confort sont autant de presta­tions dispensées par ces petites structures originales, ima­ginées par la MSA au milieu des années 1980 pour offrir dans les territoires ruraux des alternatives à l’hébergement traditionnel proposé en établissements médicalisés et en maisons de retraite.

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Un modèle du vivre ensemble unique

« On ne manque de rien ici : on n’en a pas besoin », répète Germaine qui plonge ses yeux avec insistance dans ceux du porteur de projet comme pour lui tenir tête. Elle est « vieille » peut-être mais elle n’a encore pas perdu toute sa tête, pressée de voir l’énergumène rem­baller sa marchandise et s’en retourner chez lui. Tandis que Germaine s’agite de colère sur son siège, sa voisine de table, Astrid, lance des coups d’œil apitoyés au jeune homme, quasiment un gamin. Comme un reste d’instinct maternel encore vivace en elle, elle hoche la tête pour exprimer son refus. Et l’air désolée, elle confie qu’en fait, sa situation ne lui permet pas de prendre la carte. « Je suis sous curatelle. Je ne peux pas. L’argent, ce n’est pas moi qui gère », soupire-t-elle laissant entrevoir sa fragilité.

La maison de retraite à taille humaine s’occupe de ses pensionnaires aussi sur cet aspect. Chacun occupe son logement en toute autonomie. Les services prennent en compte leur âge, leur désir et leur niveau d’autonomie. Les résidents ont opté pour ce cadre de vie. Ils disposent de la tranquillité d’esprit de ne pas avoir besoin de ce type de carte. Face à Nicolas Schottet, ils éprouvent le soulage­ment de ne pas être contraints d’y recourir.

À la rencontre de potentiels clients

Le porteur de projet ne se formalise pas de la virulence des réactions. Il est venu pour ça : se confron­ter aux jugements acérés et impertinents de potentiels clients et ou éventuels utilisateurs. Ces retours sont comme du pain béni dont il compte tirer parti pour ajus­ter le tir côté public visé et même discours à tenir. Ce tra­vail est encore possible. La carte est en phase de rodage. Son lancement est prévu au premier trimestre de l’année 2022.

L’expérience pour Hélène Boulet-Supau, une entrepre­neuse diplômée de l’Essec, est similaire. Elle est venue présenter son projet Educawa, une entreprise de l’écono­mie sociale et solidaire, qui a pour objectif de favoriser la transmission par les seniors aux enfants. L’idée est de proposer de coacher les grands-parents, désireux d’occu­per leur temps à l’aide aux devoirs des enfants. Pour elle, la confrontation tourne court très vite. Les résidents de la Marpa ne sont pas sa cible. Ils ont des petits-enfants qui ont dépassé les vingt ans et n’ont plus besoin d’être accompagnés scolairement. Cependant la rencontre a lieu ailleurs, avec les publics autour, par exemple les per­sonnes intervenues à la table ronde du matin. Des liens se sont noués appuyés par les échanges de cartes de visite. L’événement lui a donné l’occasion « de mieux comprendre l’écosystème de la Silver économie et d’en rencontrer les principaux acteurs. »

Retrouver des souvenirs

« On est sur le pont des merveilles », s’écrie Irène qui se retrouve à Venise en cette journée ensoleillée d’automne à bord d’une gondole à descendre dans les tréfonds du passé sitôt chaussé des lunettes 3D, reliée à une tablette qui diffuse la vidéo de la ville des amoureux, le tout cou­plé à une « capsule immersive multisensorielle » de réa­lité virtuelle, un dispositif impressionnant sur roulettes. La vue, l’ouïe, l’odorat et le toucher sont sollicités. À mesure que défilent les images, des microgouttelettes d’huiles essentielles sont diffusées selon ce qui est évoqué. Sur le même principe, du souffle chaud et froid interviennent aussi pour activer les sensations de toucher, en s’adap­tant au contenu des scènes.

C’est l’occasion pour Irène d’effectuer une virée accélérée dans les 88 années de sa vie passée et d’y retrouver des souvenirs liés à l’Italie et à la célèbre ville de ponts et de canaux. Elle en a exploré les moindres recoins avec son mari, disparu il y a peu. Elle sourit heureuse de renouer avec ces moments si forts pour elle. La machine, telle une Madeleine de Proust actionnable sur télécommande, ressuscite ce temps perdu. Irène se détend, oubliant Feuquières-en-Vimeu, la Marpa, les copines de la résidence. Maxence Gasovski et Guillaume Lucas, présentant le dispositif, peuvent se réjouir : la capsule « de voyage » est une capsule de bon­heur même de courte de durée. Les idées tristes sont mises de côté le temps de l’aventure offerte par l’équi­pement, déjà utilisé par quelques Ehpad et des centres de soins palliatifs. Pendant quelques minutes, Irène s’est détendue, donnant libre court à une émotion dont elle est aujourd’hui bien éloignée.

Cette dose d’euphorie apaise mais n’empêche pas la réalité de reprendre ses droits une fois le test passé. « C’était bien. C’est sûr. » Mais retour­ner dans ce pays ne la tenterait pour rien au monde. « Je préfère aller au cimetière voir mon mari et mon petit-fils décédé il y a huit jours », confesse-t-elle la voix étreinte par la douleur. Peu de temps après, Irène ressasse sa peine. L’émerveillement de tout à l’heure est bien loin. Mais pour Guillaume Lucas, il ne faut pas se tromper sur la vocation de cette capsule : elle ne guérit ni ne soigne. Elle apporte de la détente et de la relaxation. Elle peut être utilisée dans des séances de yoga. En ce moment, sa start-up, Virty Sens, travaille à une déclinai­son de l’outil autour de quatre thèmes. « Quatre études sont en train d’être menées sur les troubles cognitifs, sur la maladie d’Alzheimer, sur la sexualité et sur la rééducation déployée après un AVC », précise-t-il.

Le porteur de projet Vincent Gérard, ancien journaliste de France 3, utilise aussi les images 3D dans son invention, développée par sa start-up Live Out. Son équi­pement est enfermé dans une jolie valise transportable un peu partout. Dedans un casque de lunettes 3D et la tablette à laquelle il est connecté qui contient une bibliothèque de vidéos proposant des expériences inédites comme le saut en parachute, la conduite d’un hélicoptère ou la visite d’une ville du coin. « La stimulation par image, explique Vincent Gérard, cela peut avoir un intérêt en termes de création de lien entre les gens. On a développé ce système-là dans un Ehpad pendant un an en soumet­tant les solutions aux résidents et en les validant avec eux pour voir ce qui les intéressait. »

Pourquoi pas de la sexualité ?

Et la preuve, le test du saut en parachute met de l’am­biance. Il arrache chez les testeurs cris, hurlements de peur, soupirs et éclats de rire. Germaine, tout à l’heure méfiante, se laisse tenter. Mais incapable de maîtriser sa panique, elle retire très vite les lunettes. Lorsque Henry, le seul homme du groupe, s’y essaie à son tour, il n’échappe pas aux railleries des femmes qui l’entourent. À les entendre, Henry aurait bien aimé voir des images de jolies femmes en 3D. Très vite le héros de l’atelier, c’est lui. Il admet, un brin coquin, qu’il n’aurait rien trouvé à redire si de telles images lui avaient été proposées. L’aveu délie les langues. Les femmes aussi auraient bien reluqué des chippendales en 3D. Si la séquence légère en amuse plus d’un, elle n’en demeure pas moins instructive pour le porteur de projet. Peut-être a-t-il entendu le besoin exprimé par les utilisa­teurs sur cette thématique. En tout cas, le promoteur de la capsule est déjà positionné sur le créneau. À quand des ateliers concept crash érotique pour les seniors ?

Photos : © Fatima Souab/Le bimsa