On les aime un peu, beaucoup, passionnément, à la folie fermière ! Dans la salle du cabaret, il est midi passé ce jeudi 12 janvier et les tables sont dressées pour accueillir les spectateurs. Avec son équipe, Laëtitia Caumette s’affaire en cuisine et au service.

Prologue

Depuis le début de la matinée, elle s’occupe de l’accueil : après un café de bienvenue à la boutique des producteurs locaux, une visite pédagogique de la ferme en « tractotrain ». Très attendu, David déboule enfin. À défaut de paillettes – car le rideau de la scène est encore tiré – des étoiles scintillent dans les yeux des convives.

Il faut dire qu’après le livre Les Folies fermières paru en 2019 (éditions du Rocher), le film éponyme de Jean-Pierre Améris, deux ans plus tard, et la multitude de reportages de presse, les Caumette sont devenus des stars. Sans l’option « grosse tête » cependant.

David, veste bleu électrique et pommettes roses, est certes un personnage haut en couleur. Mais il n’hésite pas à se plier aux exigences de la popularité en allant saluer de table en table. Cette notoriété : serait-ce parce que, pour faire preuve d’originalité et de pugnacité à sauver sa ferme, on lui sait gré d’être resté profondément un agriculteur ?

Acte I : David et l’honneur

Dans les coulisses, les danseuses s’étirent encore en prévision des levers de jambe du french cancan. La discussion s’engage avec David : c’est parti pour l’épopée d’une personnalité truculente et attachante.

« Quand j’avais cinq ans, je voulais être agriculteur », débute-t-il. Ça résonne comme un titre de récit autobiographique. Si David est la quatrième génération de paysans dans sa famille, la transmission a connu quelques péripéties.

La ferme originelle


Scène I. David est élevé par ses grands-parents maternels, Pierrette et Attilio Zanchetta. « Ma grand-mère m’apprend à lire, mon grand-père à compter : je fais mes devoirs dans l’étable entre deux allées et venues pour vider le bidon de lait. »


Scène II. En classe de CM2, le petit carbure si bien à l’école que Pierrette avance son idée. « Tu ne dois pas reprendre la ferme, intime-t-elle. Tu t’orientes vers les grandes études, on s’arrange avec tes parents. » De l’autre côté, Augusta, sa grand-mère paternelle, s’ouvre à son petit-fils. Elle lui confie une mission secrète : « Ton père n’a jamais voulu être agriculteur, il voulait devenir mécano, souviens-toi de cela ! »


Scène III. David se lance dans son premier défi. « Pour l’honneur de la famille, je ne serai pas mécano : je serai prof de mécanique ! » Et donc : CAP, bac techno, DUT, licence mécanique, concours de prof et premier poste au lycée agricole d’Ondes, en Haute-Garonne. « Mon diplôme est affiché sur la cheminée, mon père ne m’a jamais félicité », conclut-il !


Scène IV. David devient coordinateur pédagogique. La direction régionale de l’agriculture et de la forêt (Draf) lui propose le poste de directeur d’exploitation au lycée professionnel agricole de Lavaur-Flamarens. Retour aux sources. Il jubile : « J’avais 80 hectares, environ 150 vaches : je me suis régalé. »

Acte II : David agriculteur

Scène I. David continue de dérouler son histoire personnelle : coup de théâtre.
(Laëtitia, rencontrée au lycée agricole, à David) : « Au fond de toi, tu n’es pas heureux ». Bingo : « Tu as raison, je vis dans une zone de confort, j’ai un bon salaire, la sécurité de l’emploi comme un fonctionnaire et je bénéficie de beaucoup d’avantages, lui rétorque-t-il. Mais mes parents vendent la ferme et je veux reprendre l’exploitation familiale ! »


C’est plié. Ou presque. La pilule a un goût amer pour les parents de David. Cependant, il peut compter sur un allié au caractère bien trempé : Attilio, le grand-père Zanchetta. Qui réunit la famille et tape du poing sur la table. « S’il veut être agriculteur, il sera agriculteur », tranche-t-il. La messe est dite. « J’ai le feu vert du parrain », commente David.

En 2007, il devient ainsi le seul éleveur de Garrigues, 300 habitants à la louche, 50 % d’agriculteurs un demi-siècle auparavant, plus que 10 à ce moment-là.

Scène II (le parrain, à David) : « Tu n’es que directeur de lycée agricole, tu ne connais l’agriculture que sur le papier. Je te donne un hectare en propriété et 20 en fermage : si tu es bon, tu t’en sors ». Il n’en faut pas plus à David, qui dit fonctionner « au coup de pied au c… » !

« Je pars avec dix fois moins que les autres, je réussirai dix fois plus que les autres. » Lui qui vitupère contre le système qui rend les agriculteurs « dépendants des aides de la politique agricole commune (PAC), sous perfusion de Bruxelles », se lance dans la vente directe avec livraison à domicile de colis de viande. « On fait sauter les intermédiaires. » Pendant trois ans, le rythme est effréné : la ferme est également présente sur sept marchés par semaine.

En 2010, la famille construit une boucherie-charcuterie et embauche un boucher. Foin du maquignon, qui vexé, confie à Constancine, la maman de David : « Il est parachuté votre gosse, il ne tiendra pas six mois ! ». Notre jeune agriculteur aura sa revanche : « Quelques mois plus tard, je lui vends un morceau de viande : c’est comme de vendre un frigo à un Esquimau », s’amuse-t-il.


Scène III. En 2013, une loi autorise l’ouverture, tous les dimanches de l’année, des magasins qui ont une surface inférieure à 250 mètres carrés. C’est le coup de massue : « En six mois, nous perdons 30 % du chiffre d’affaires ».

Scène IV (Laëtitia, à David) : « Tu as une offre qui ne correspond plus à la demande, il faut aller plus loin. Je suis cuisinière : fais-moi entrer dans ta société et créons une ferme-auberge ».
Bonne idée : la maison est surélevée et le restaurant de producteurs locaux sort de terre. À la fin de la première année, le lieu qui est ouvert 7 jours sur 7 ne fait que 15 couverts par semaine. « Le comptable me dit : vous avez un an pour trouver une solution et rembourser vos traites ».

Acte III : David cabaretier

Scène I. Nouveau rebondissement (Laëtitia à David) : « Tu dis à tout le monde que tu racontes une histoire avec ta viande locale et son bilan carbone parfait etc., que le spectacle est dans l’assiette mais je ne le vois pas : fais-moi rêver ! »
Ni une ni deux : sur huit palettes et du contreplaqué, une première scène est dressée. Elle accueille tour à tour les danseurs de country « du village d’à côté », de la zumba, un chanteur… et le sosie de Claude François. Mais oui, Olivier Le Maguer, alias Claude David dans le film Podium de Yann Moix !
« Ce jour-là, quarante nounous sont dans le public, parmi lesquelles celle de Giovanni, mon fils ! »

Scène II. Le succès est au rendez-vous. En 2015, après avoir fait tomber le mur de l’ancien garage, pour y loger la scène du cabaret, naissent Les Folies fermières. Salle comble tous les week-ends.


Scène III. « Allô, bonjour Monsieur, c’est la Sacem ! » La société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique demande notamment à David de se conformer à la loi et de passer une licence de spectacle, et donc de suivre une formation dédiée à Toulouse.

Scène IV. « Nous avons un agriculteur parmi nous, c’est un examen compliqué et je ne voudrais pas que vous perdiez votre temps », hasarde le formateur le premier jour. Vous vous souvenez du « coup de pied au c… » ? David s’enferme trois semaines, remet sa ferme entre les mains de sa famille, et sort major de sa promotion.

Scène V. Problème, le diplôme est référencé au ministère de la Culture alors que David dépend du ministère de l’Agriculture. « Vous ne rentrez pas dans les cases du Cerfa », lui objecte-t-on à 14 heures. « Hé bien vous allez la créer », rétorque-t-il. À 18 heures, une case est cochée : « ferme-auberge assimilée cabaret ». En 2016 : « Les Folies fermières » devient une marque déposée.

Épilogue

David et Laëtitia sont complémentaires. « Nous proposons des journées agri-culturelles, claironne Laëtitia. Les artistes ont la tête dans les étoiles et les agriculteurs les pieds sur terre : nous associons ces deux mondes. » Et David indique : « J’ai fait cela pour sauver ma ferme. J’ai créé 21 emplois. Je veux redonner une image positive de l’agriculture. » Il y a un mois, les Caumette reçoivent la visite de Thierry Outrilla, ancien directeur de scène au Moulin-Rouge. Il est reparti en leur tirant son chapeau. Bravo les agri-artistes !