Ils ont la patate (sympa pour des maraîchers !), les pieds sur terre et les yeux levés vers Mars. Pablo Cano-Rozain, Arthur de Gouy, Maxime Diedat et Augustin Tempier : quatre « extraterriens », le premier urbaniste, les trois autres issus de la même promo de l’école nationale supérieure de paysage, fondateurs de l’association Terre de Mars, en 2014. Tous nourris aux principes du jardinier-maraîcher québécois Jean-Martin Fortier — lequel propose une méthode culturale bio intensive incorporant notamment la permaculture1 — et aux travaux du groupe de recherche en agriculture biologique (Grab).
Au nord de Marseille, passé un imposant portail de métal, une perspective s’ouvre sur une allée bordée d’arbres. Sa douce déclivité monte vers le Mas des Gorguettes, adossé au massif de l’Étoile dans le XIVe arrondissement, à quelques pas du quartier du Merlan. Après avoir fureté sans succès autour d’une bastide aux volets clos, un accueil canin et jappant puis une présence humaine se manifestent en contrebas. Augustin a la tête fourrée sous le capot de sa voiture. Problème de batterie. « C’est aujourd’hui qu’on avait rendez-vous ? J’avais complètement oublié. » Puis la mécanique du savoir-vivre reprend le dessus. Un kawa plus tard, on entre dans le vif du sujet.
« Recevoir des lycéens pour leur donner le goût de l’entreprenariat. »
« À l’origine, nous ne savions pas exactement ce que nous voulions faire mais nous voulions tester les possibles, explique Augustin. Notre volonté collective de changer les choses a rencontré une opportunité foncière puisqu’on m’a proposé de redynamiser des terres familiales. » Leur projet débute au printemps 2015 par la culture, sur l’équivalent d’un mouchoir de poche, de quelques solanacées, et par l’achat d’un goutte-à-goutte. Les tomates se font rapidement dorer la pilule au soleil méditerranéen. Les premiers paniers à 10 euros sont ainsi vendus. Grâce au bouche-à-oreille et à une bonne couverture médiatique locale — parce que l’initiative a de quoi emballer — ils font florès.
Sur 500 mètres carrés, puis 1 000, 3 500 et 7 500 aujourd’hui, dont deux serres de 400 mètres carrés chacune, la micro-ferme, faiblement mécanisée, ne cesse de grignoter du terrain pour se diversifier. Dans les parcelles cultivées en permaculture, entre 15 variétés de tomates, huit d’aubergines, six de poivrons et quatre de concombres, le basilic thaï côtoie le shiso (persil japonais), et un peu plus loin les kiwanos, ou melons à cornes venus d’Afrique.
Le tout à partir de semences labellisées AB (certification en cours). Faut-il encore le rappeler ? Les intrants sont organiques et locaux ; aucun d’entre eux n’est issu de l’industrie chimique, si ce n’est, comme l’autorise le cahier des charges, cuivre et soufre en très faible quantité. « Nous utilisons des purins [engrais liquides] issus de la décomposition par macération de plantes comme la prêle, l’ortie ou la grande consoude. »
« La première année, c’était un peu du bricolage. Après, nous nous sommes professionnalisés en créant notre réseau de distribution en vente directe de paniers bio. Il s’inspire du principe développé par les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) sauf que c’est sans engagement. » C’est par envoi d’un SMS que les clients réservent leurs paniers au coup par coup, en précisant la date et le lieu du retrait, tous les lundis sur place ou tous les jeudis encore plus près, dans un café situé en bas des grands escaliers de la gare Saint-Charles.
Augustin, la peau tannée par un été particulièrement ardent, soulève le paillage2 qui tapisse l’une des planches permanentes de l’exploitation plantée extrêmement dense, en continuant de tailler le bout de gras. « Nous avons également développé, en autodidactes, un service traiteur à destination des entreprises, des collectivités et des particuliers. Une cuisine élaborée mais rustique. » L’idée étant de pouvoir retirer de ces deux activités des revenus décents. « Un Smic chacun d’ici deux mois mais si nous en restions là, nous remettrions notre projet en question. Notre objectif serait d’atteindre un salaire net de 2 000 euros avant un an. Ce qui est certain, c’est que nous voulons rester dans l’agriculture à 100 % ! »
Ils ont la gnaque !
Mais avec, toujours, un engagement pour l’environnement — protection des écosystèmes et recherche du mieux manger sans pesticides — chevillé au corps. « En accord avec les convictions de notre clientèle… » : tous les derniers lundis du mois, de mai à octobre, Terre de Mars ouvre ses portes pour des visites guidées gratuites. « Nous montrons ce que nous faisons. Les légumes n’arrivent pas tout seuls sur un étal : derrière, il y a un terroir, des hommes, un savoir-faire, de l’écologie… ». Cette année, le projet est de développer une troisième branche d’activité, pédagogique, auprès du public scolaire. Après avoir reçu une dizaine de classes primaires, ce sera au tour des lycéens, vraisemblablement : « Pour leur donner le goût de l’entrepreneuriat, l’envie de se lancer pourquoi pas ! ».
Car ils ont encore la gnaque ! Pour preuve : « Nous ne voulons pas de subventions : nous voulons montrer que nous pouvons vivre sans être sous perfusion ». Cet hiver, ils investissent dans la poule : 150 pondeuses, puis 450 à terme. Auquel il faudra ajouter, dans le cadre de l’agroforesterie, l’achat de 300 arbres fruitiers cet automne — 50 d’entre eux sont déjà plantés — pour atteindre un total de 800 pièces et transformer la par celle en verger-maraîcher. Plus un laboratoire de cuisine et un microtracteur 4×4.
« Mais jusqu’où s’arrêteront-ils ? », aurait dit Coluche. Ce n’est pas demain la veille ! « Notre modèle économique, alternatif, est rentable », lâche Augustin, un rien serein. Et heureux : « Le matin, on sait pourquoi on se lève. Sans se tuer à la tâche : on a des horaires de bureau, 9 heures-18 heures. Nous avons tous les quatre une vie urbaine après le boulot. Nous partageons des valeurs et du bon temps. Et nous prenons tous nos week-ends et six semaines de vacances par an ! ». Là, on vend carrément du rêve.
(1) Bill Mollison, cofondateur de la permaculture, la définit comme une démarche de conception éthique visant à construire des habitats humains durables en imitant le fonctionnement de la nature.
(2) Le paillage permet le maintien de l’humidité dans le sol, la régulation de la température en limitant les chocs thermiques, le développement d’une microfaune et donc l’apport de matière organique carbonée ; il modère la germination des mauvaises herbe.