Préparer la relève, éclairer et apporter des solutions pour la transition agricole dans ses dimensions environnementales, sociales et économiques, servir de démonstrateur pour une agriculture innovante, c’est l’ambition affichée d’Hectar.

Du mentoring sur mesure

Ce campus, qui s’étend sur plus de 600 hectares dans le parc naturel de la vallée de Chevreuse, c’est d’abord une exploitation composée de 250 hectares de grandes cultures en « agriculture régénératrice » pour la préservation des sols, d’un élevage laitier en plein air de 60 vaches normandes et 60 hectares en pâturage « tournant dynamique », d’une activité de transformation du lait en yaourts ainsi que 310 hectares de forêt. Les apprenants qui débarquent dans cet écosystème sont plongés dans le vif du sujet.

« Nous proposons des programmes d’accompagnement dans un format de mentoring sur mesure », explique Audrey Bourolleau, cofondatrice du lieu. Pas de diplômes ni d’enseignement technique, mais du coaching qui évolue au fil du temps. Programme phare : Tremplin1, un accompagnement entrepreneurial de cinq semaines, dont deux journées sur site et des sessions à distance afin de s’adapter aux emplois du temps des porteurs de projets.

Nouveautés 2023-2024

Parmi ses programmes gratuits, Hectar a lancé en 2022 « Farm’Her », dédié aux femmes. Il met l’accent sur les ressources humaines et les aide à affirmer leurs compétences, leur légitimité à s’exprimer et leur culture du réseau. Deux sessions ont déjà eu lieu, avec 20 agricultrices, et une prochaine va bientôt commencer.

En janvier prochain, un parcours de formation entrepreneuriale de 60 places dédié à la floriculture régénératrice s’ouvre en partenariat avec Parfums Christian Dior. Durant cinq semaines, les candidats vont imaginer, dimensionner et challenger leur projet de création ou de diversification. Objectif : développer la filière française car 8 fleurs sur 10 sont importées.

Demande d’inscription sur www.hectar.co/contact.

Sur les 104 personnes accompagnées depuis 2021, dont 56 % de femmes, la majorité ne travaille pas dans le secteur mais a un actif foncier et souhaite se reconvertir. Près de 60 % d’entre elles ne sont pas issues du monde agricole. « Nous formons des chefs d’entreprise qui vont recomposer un modèle économique pour pouvoir, à terme, se rémunérer, tout en étant dans une démarche de transition environnementale, continue l’ancienne conseillère d’Emmanuel Macron. Ils veulent davantage de plus-value sur ces fermes ; se posent donc plusieurs questions : faut-il aller vers des cultures de plus haute valeur ajoutée ? Développer de la transformation sur site, de l’agrotourisme, de la production d’énergie… ? »

Statuts juridiques, diagnostic territorial, business plan, débouchés… chacun va nourrir et confronter ses idées auprès de professionnels, agriculteurs pour la plupart, afin de trouver le modèle qui lui convient le mieux, le sécuriser et l’argumenter. Aujourd’hui, ils sont 36 % à être installés ou en phase de l’être d’ici fin 2024.

► Ils sont passés chez Hectar : découvrez les témoignages d’Esther, Hilaire et Brice.

Sensibiliser et innover

Deux autres piliers soutiennent Hectar : la sensibilisation et l’innovation. Pour le premier, depuis un peu plus d’un an, l’équipe a déjà accueilli 7 500 acteurs en lien avec la filière agricole (alimentation, habillement, construction, cosmétiques…) ainsi que 2 000 élèves du CP au CM2 et plusieurs stagiaires de 3e. « On peut former les meilleurs entrepreneurs agricoles mais, pour passer ce coût de transition sociale et environnementale, il faut faire bouger tous les maillons de la chaîne agroalimentaire, leur faire comprendre l’enjeu du carbone, ce qu’est le juste prix d’un produit, comment il est conçu… Il y a un énorme besoin de reconnecter la décision de ces groupes avec les acteurs de terrain », assure Audrey Bourolleau.

Et pour soutenir le tout, le mot d’ordre est l’expérimentation. « Nous testons sur la ferme des modèles avec pour clé d’entrée le social : retravailler les équilibres de vie, avec notamment une seule traite par jour à 11 heures, un weekend sur trois travaillé. Pour attirer les salariés dans les exploitations, il faut recomposer l’organisation du travail. »

Améliorer le quotidien des travailleurs

De nouvelles techniques y sont aussi éprouvées. L’accélérateur d’Hectar, copiloté par celui d’HEC Paris, a déjà accompagné 60 start-up. Mesure du temps de travail, gestion des stocks, réduction de la pénibilité, optimisation et réduction des pulvérisations… « Le but est d’assister les travailleurs au quotidien, voire de mieux se rémunérer, et de rendre cette technologie accessible. Nous avons soutenu des applications gratuites non codées qui permettent de suivre les activités sur la ferme, telle que Aptimiz, un logiciel créé par des fils d’agriculteurs afin de mieux s’organiser sur la ferme, ou encore Hyperplan qui, grâce à des données satellitaires publiques, parvient à recomposer les différents assolements depuis 15-20 ans et ainsi à prédire les besoins en logistique. Autre innovation intéressante : Inarix un outil d’imagerie qui analyse le grain et donne son taux de protéine. »

Mais derrière la technologie, et ses limites environnementales, restent les hommes. « Ce que je souhaite le plus, assure la petite-fille d’éleveurs, c’est faire émerger des rôles modèles et les mettre en lumière, on en manque terriblement pour les jeunes, et pourtant il y en a plein ! Le monde agricole connaît de nombreuses difficultés, ce sont des métiers exigeants, mais si on veut donner envie de s’engager, il faut mettre en avant ces figures-là. Nous avons 500 mentors-agriculteurs rémunérés pour transmettre leur savoir, et ils en sont fiers. »

(1) 2 500 €, possibilité de financement par Pôle emploi, le compte professionnel de formation, les opérateurs de compétences ou une demande de prise en charge partielle par Hectar. Plusieurs sessions par an en fonction de la demande.

Ils sont passés chez Hectar

Esther Hermouet

Diplômée d’une école de com­merce, Esther Hermouet a travaillé pendant une dizaine d’années pour des grands groupes de vins et spiritueux.

« Initialement, je ne m’étais pas projetée dans une reprise. Mais, mon père approchant de la retraite, nous nous sommes questionnés sur la suite. Lorsque qu’Hectar a communiqué sur son ouverture, le discours a fait écho aux freins que je ressentais : difficultés économiques, isolement social, impact environnemental… la tâche à accomplir me paraissait très grande. Si je reprends l’exploitation, qu’est-ce que j’en ferai pour pouvoir m’épanouir et la maintenir à flot ? Excepté pour les très grands crus, le Bordelais souffre énormément.

Les cinq semaines de Tremplin, financées via le dispositif de l’État « Démission-reconversion », m’ont redonné confiance, m’ont rassurée sur le fait qu’un autre modèle est possible. Ça m’a permis de confronter mes problématiques avec des pros du secteur et de réfléchir à une future évolution. Chaque apprenant vient avec des problématiques qui lui sont propres ; dans mon groupe d’une petite quinzaine, on avait tous des projets différents et complémentaires, j’étais la seule en viticulture.

Aujourd’hui, j’ai quitté mon emploi et commencé un BTSA viticulture-œnologie et un diplôme universitaire d’aptitude à la dégustation, tout en travaillant en binôme avec mon père. J’envisage mon projet en deux phases, une transition progressive pour la reprise, et la pérennisation, avant d’envisager une évolution. Cela me permet d’avoir un objectif et une dynamique sur le long terme. »

Esther Hermouet, 33 ans, souhaite reprendre le vignoble familial à Saillans, près de Saint-Émilion.

Ingénieur en agronomie et diplômé d’une école de commerce depuis 2021, Hilaire Roucou avant une future reprise.

« En complément des connaissances techniques, j’ai toujours eu envie de créer. En tant que fils d’agriculteur, j’étais ravi de voir des personnes mettre des billes sur la table pour lancer une dynamique, notamment pour celles qui ne sont pas issues du milieu. Parfois on se sent un peu seul, incompris, et en même temps on nous demande d’innover pour des enjeux de société ; mais pour ça, on a besoin d’argent.

Comment faire fructifier notre patrimoine familiale à sa juste valeur ? Mon objectif était de trouver une production à haute valeur ajoutée sur peu de surface, durable sur le plan environnemental et qui permette de dégager du temps libre. Pour ma génération, les conditions de travail sont importantes, nous ne voulons pas reproduire le modèle de nos aînés.

Chez Hectar, j’ai retrouvé du sens dans ce métier. Dans ma promotion, j’étais l’un des seuls issu du milieu et sortant d’une formation agricole. C’est un carrefour d’acteurs de la profession qui aide à recréer de l’attractivité du métier, et ces convaincus font boule de neige.

Je me suis d’abord intéressé au bambou, avant de me tourner vers une production qui réunit tous ces critères : le paulownia, un arbre originaire d’Asie à la croissance exceptionnelle et qui peut facilement être valorisé via la filière bois. Il présente par ailleurs une bonne résistance à la sécheresse, il est mellifère, ce me permettrait de m’associer à un apiculteur, et, grâce à une sélection génétique, ce n’est pas une espèce envahissante. J’ai planté un hectare sur la ferme en expérimentation. »

Hilaire Roucou, 25 ans, réfléchit avec ses frères et sœurs à la reprise de la ferme familiale en polyculture-élevage près d’Amiens.

Brice Barbé

Après une licence en biologie, un BTS viticulture-œnologie et plusieurs expériences en France et à l’étranger, Brice Barbé se lance dans l’aventure du renouveau de la viticulture bretonne avec un ami possédant 1,4 hectare de terres à Arradon.

«Au début, ce n’est pas évident de savoir où on va. On part de zéro, il faut tout imaginer et créer. On se pose dix fois les mêmes questions, mais c’est stimulant car on est assez libres, et il y a une certaine fierté de participer au renouveau d’une filière. Il y a une forte dynamique dans le Morbihan.

Hectar nous a aidés à faire les bons choix, à challenger nos idées, nos calculs, sécuriser notre modèle économique et notre plan de développement. Les intervenants professionnels, notamment viticoles, m’ont également conseillé sur les cépages. Ça nous a ouvert des portes et donné des clés pour être plus confiants dans nos choix. »

Après deux ans de préparation, les vignes ont été plantées au printemps dernier. Il faut désormais patienter quatre ans avant la première cuvée. 

Brice Barbé, 28 ans, salarié viticole près de Nantes, lance un domaine-test viticole bio dans le golfe du Morbihan.
Photo d’ouverture : © Hectar