Lorsque j’ai découvert l’existence d’un espace-test agricole dans la communauté d’agglomération du Pays ajaccien (Capa), j’ai sauté sur l’occasion, se souvient Laura Peretti. À l’époque, je travaillais à la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM). » Un emploi de bureau du genre alimentaire pour la jeune femme de 35 ans passionnée par l’agriculture. Elle ne conçoit son quotidien professionnel que les mains dans la terre et au grand air, le visage caressé par le mistral et le libeccio, deux vents qui soufflent sur le littoral Corse. « L’agriculture m’a rappelée à elle. Pour moi, c’était l’occasion de gérer un terrain comme je l’entends. Je me suis dit que j’allais enfin pouvoir faire comme les grands », sourit l’Ajaccienne.

En faisant visiter, entre deux averses de printemps, sa future parcelle entourée d’arbres centenaires avec vue de rêve sur la baie d’Ajaccio et en désignant des rangs de légumes joufflus encore imaginaires, la jeune femme rayonne. Elle quittera le champ mis à disposition par la communauté d’agglomération dans moins d’un an. Elle y cultive depuis deux ans 2 500 m2 en pleine terre et 100 m2 de serre dans laquelle les légumes sont bien réels : des carottes, des oignons blancs et des choux pointus 100 % bio tapissent la terre grasse et très fertile de ce petit paradis du maraîchage situé à la sortie de la plus grande ville de la Corse. « Je m’éclate, la bulle protectrice de l’espace-test me permet de tester des cultures. » Ce cocon économique permet en effet de démarrer progressivement une activité de production sur un terrain mis à disposition (par une collectivité, un agriculteur, une association…) dans le cadre juridique, fiscal et comptable d’une couveuse, pour une période d’un an renouvelable deux fois. Les testeurs signent un contrat d’appui au projet d’entreprise qui leur apporte un statut et une protection sociale.
Une fois lancée, Laura Peretti ne veut pas faire de compromis avec ses valeurs : vendre à des prix accessibles à tous des produits sains. « Quand la MSA de la Corse m’a proposé de participer à l’opération des paniers solidaires, j’ai tout de suite accepté et je souhaite continuer de m’y investir. » Par le biais de ce dispositif, le régime de protection sociale agricole et ses partenaires viennent en aide aux travailleurs aux revenus modestes en subventionnant des produits locaux.

Laura Peretti. Ajaccio corse. se teste en agriculture
Laura Peretti, 35 ans, est passionnée par l’agriculture.

Cécile Bianchi

Sa voisine de champ, Valérie Ceccarelli, elle aussi testeuse, a un parcours très différent. « J’ai grandi dans le milieu agricole, mais toute ma vie, j’ai fait autre chose. À 48 ans, je me disais que c’était trop tard mais mes enfants m’ont poussée à tenter ma chance. » Après des années à travailler auprès d’enfants puis de nuit dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, la mère de famille a enfin trouvé sa place. Elle imagine son projet agricole comme une passerelle entre sa nouvelle et ses anciennes vies professionnelles. Elle veut ouvrir sa future exploitation aux personnes âgées et aux plus jeunes pour les initier aux techniques du maraîchage. Novice ou presque, elle fera, comme ses consœurs testeuses, son expérience sur le terrain prêté par la Capa pendant un an, renouvelable deux fois. Elles sont accompagnées dans cette aventure par les professionnels de la création d’entreprise pour la partie gestion et par des spécialistes du maraîchage pour la partie technique. Ce n’est pas un hasard car ces futures entrepreneuses du vivant se doivent de réussir sur les deux tableaux pour s’installer puis pérenniser leur future exploitation.

Des conseillers en protection sociale de la MSA de la Corse accompagnent également les cheffes d’entreprise pour leur permettre une future installation dans la sérénité. Émeline Lavaud, 33 ans, ingénieure agronome, aurait pu faire une jolie carrière en tant que chargée de missions à la Direction régionale de l’agriculture et de la forêt d’Ajaccio. Mais cette aventurière dans l’âme a entendu elle aussi l’appel de la terre même si sa vie professionnelle a commencé dans la mer, dans une ferme perlière, installée en Polynésie française. La jeune femme a aussi enseigné dans un lycée agricole et consolidé sa technique en maraîchage comme ouvrière agricole. « Je me lance dans l’idée de produire des aliments de qualité pour nourrir la population tout en respectant l’environnement, soutient celle qui entame ses premiers semis. Être aux commandes de mon exploitation me permettra de faire mes propres choix économiques et agronomiques et de les mettre en accord avec conviction. »

Jardin nourricier et fleurs à couper

Cléa Chevalier, 32 ans, se lance dans un projet alliant jardin nourricier et fleurs à couper, aromatiques et médicinales. Diplômée d’un Bachelor en gestion et commerce, elle a débuté sa carrière à Paris au sein de Care France, une organisation non gouvernementale internationale luttant contre l’extrême pauvreté dans le monde. « La plupart des projets pour lesquels je cherchais des financements étaient de nature agricole et souvent portés par des femmes, souligne la testeuse. J’adorais faire ce métier, mais je trépignais derrière mon bureau à Paris alors j’ai décidé de tout quitter pour aller faire du woofing dans
des fermes en France [NDLR : programme d’échange de travail en milieu rural en échange du gîte et du couvert]. » Parallèlement, sa passion pour les fleurs s’est révélée. « Aujourd’hui, en France, 80 % des fleurs sont importées, s’insurge Cléa Chevallier. Elles transitent principalement par les Pays-Bas, mais sont pour la plupart produites dans les pays du Sud comme l’Équateur, ou le Kenya, sur des centaines d’hectares traités avec des produits phytosanitaires interdits en Europe depuis plus de 30 ans. » Celle qui a aussi exercé le métier de fleuriste pendant deux ans à Ajaccio prévoit de cultiver une vingtaine d’espèces aux côtés de ses légumes, comme le zinnia et le dahlia, trop fragiles pour être transportées sur des milliers de kilomètres : « Il y a une complémentarité entre le monde des fleurs et celui du maraîchage. La rose d’Inde est par exemple utilisée en permaculture pour ses propriétés bénéfiques pour les tomates.» Complémentarité et synergie entre espèces, autrement appelée technique du compagnonnage. Une expression qui sied parfaitement au jardin de Laura, Émeline, Cléa et Valérie et auquel il serait urgent de trouver un synonyme féminin.

Un projet dans l’agglomération niçoise

Afin de favoriser la transmission des exploitations, un partenariat a été noué dans le cadre du Projet alimentaire territorial (PAT) de la métropole Nice Côte d’Azur avec la MSA Provence Azur. La caisse azuréenne est en train de prendre contact, via un courrier personnalisé, avec 70 exploitants agricoles de ce territoire, proches de l’âge théorique de départ à la retraite, pour leur présenter le dispositif d’espace test agricole dans le but de les accompagner dans la transmission de leur exploitation. Elle propose, pour ceux qui le souhaitent, que cette expérimentation se fasse au sein d’une exploitation existante. Cela permet au porteur de projet de se lancer en réduisant les risques et en étant accompagné sur le plan de l’entreprenariat mais aussi sur le plan technique. La caisse proposera également aux testeurs d’être accompagnés par un conseiller en prévention des risques professionnels.