Elles s’appellent Faro, Reinette du Mans, Judor, Judaine ou Hochet. Elles ont des formes généreuses et des robes rouge sang ou jaune-vert clair. Certaines sortent très parfumées ; toutes sont d’une douceur sucrée, légèrement acidulée. Mais elles ne se laissent pas cueillir comme ça !
Parmi ces variétés de pommes, la Hochet milite même pour des pépins libres ! Elle possède des loges carpellaires assez larges pour que les graines y dansent à l’intérieur, en frappent les parois et tintinnabulent quand on les secoue, transformant ainsi le fruit en maracas, ou en hochet.
« Contrairement à 2019, où les pommiers n’ont rien donné, en raison du gel et des dégâts causés par les anthonomes1, nous avons connu cette année une récolte abondante : plus de 200 tonnes ! », reconnaît Corinne Heusèle, administratrice à la MSA Île-de-France.
Le verger de l’exploitante et de son mari Antoine, producteurs de pommes à cidre, est situé à Giremoutiers en Seine-et-Marne. S’étendant sur dix hectares, il comprend 7 000 pommiers basses tiges, plantés il y a trente ans, donnant en partie d’anciennes variétés briardes.
Les Judor et Judaine sont nées de l’expertise de l’Institut national de la recherche agronome (Inra)2. Elles ont été développées pour leur aptitude à supporter la récolte mécanique tout en donnant une forte proportion de jus.
Samedi 14 novembre, ce coin devient le paradis de la cueillette. Par l’entremise de l’association Solidarité des producteurs agricoles et des filières alimentaires (Solaal), qui facilite l’organisation des dons3, c’est là que Corinne donne rendez-vous à une dizaine de bénévoles.
Masqués assurément – par respect des mesures de protection sanitaire – ils sont issus des Restos du cœur des centres de Champs-sur-Marne et de La Ferté-sous-Jouarre, et du Collectif chrétien d’action fraternelle de Chelles.
Nulle pomme de discorde
« Une partie du verger est composée de variétés à deux fins, à cidre et à couteau. C’est le cas pour la Hochet. » C’est donc vers les spécimens de cette famille encore accrochés aux branches de l’arbre – les pommes à cidre se récoltent au sol — que se concentre l’attention des membres des associations caritatives : faire légèrement tourner le fruit sur son pédoncule, tel un amant qui décrocherait la lune pour sa belle en la dévissant comme une ampoule avant d’allumer son cœur !
Nulle pomme de discorde entre eux : « Une tonne de fruits est récoltée en quelques après-midi. » C’est beaucoup et bien peu à la fois. Mais Corinne le formule ainsi, en citant une championne de la solidarité humaine, Mère Teresa : « Nous réalisons que ce que nous accomplissons n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan. Mais si cette goutte d’eau n’existait pas, elle manquerait. »
La récolte aurait pu être plus conséquente si l’exploitante avait réussi à regrouper un petit noyau de délégués de la MSA autour d’elle. Mais en plein reconfinement, le réseau s’avère difficile à mobiliser. Elle prévoit même une alternative, en conviant des Giremontois, des élèves du lycée agricole La Bretonnière de Chailly-en-Brie et des travailleurs de l’Esat du Val d’Europe de Bailly-Romainvilliers à participer à la cueillette. Finalement, la présence des bénévoles des banques alimentaires suffit à faire en sorte que l’opération se déroule sans pépin.
Par ailleurs, l’élue se montre très sensible aux remontées du terrain. Elle n’oublie pas que la profession agricole traverse elle-même une période difficile. Pour elle, la solidarité ne saurait s’exercer qu’à double sens. « Tous les agriculteurs ne peuvent pas se permettre de donner, précise Corinne. N’oublions surtout pas que certains voudraient tout simplement vendre leur production pour vivre de leur activité ! »
(1) Petit coléoptère brun noirâtre de la famille des charançons, l’anthonome du pommier dévore les bourgeons floraux.
(2) L’Inra est devenu l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) après la fusion avec l’institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea) au 1er janvier 2020.
(3) Pour les dons de denrées alimentaires aux associations reconnues d’utilité publique ayant un caractère social ou humanitaire, les entreprises assujetties à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés peuvent bénéficier d’une réduction d’impôt, égale à 60 % du montant des versements.
Émile Bunoz,
président de l’échelon local des Hauts-de-Seine
« J’ai présenté l’activité de l’association Solaal aux présidents des échelons locaux et aux administrateurs de la MSA Île-de-France il y a plus d’un an. Cette structure facilite les liens entre les donateurs des filières agricoles et les associations d’aide alimentaire. Son premier président et fondateur, Jean-Michel Lemétayer, disait : “Je ne supporte pas de voir des gens qui ne mangent pas à leur faim dans mon pays.”Jeter une partie de sa production, c’est antinature ! La plus noble fonction de tout agriculteur est d’abord de nourrir, tout en s’assurant cependant qu’il puisse vivre de ce qu’il produit. Notre société se doit d’organiser les circuits pour écouler tout invendu et éviter toutes pertes, afin que chacun puisse manger à sa faim. Je pense que nous devons sanctuariser la production alimentaire agricole et ne pas la sacrifier. Je souhaite que la MSA Île-de-France puisse être un acteur de cette cause nationale de lutte contre la précarité alimentaire en s’investissant dans cette dynamique du don agricole. C’est aussi une autre façon de combattre l’agribashing. Nous traversons une année creuse. Mais le conseil d’administration soutient cette démarche. Notre but sera d’encourager, au cours de l’année 2021, d’autres actions locales de cette nature avec Solaal et de prévoir un événement régional pour honorer tous les acteurs de terrain qui se seront mobilisés. »