Vingt-quatre décès entre 2012 et 2016 : les stagiaires du monde agricole ne sont pas épargnés par les accidents. Remettre la prévention au cœur de l’éducation professionnelle est depuis longtemps une volonté forte de la MSA. Dès 2006, elle signe avec le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation et le ministère du Travail une convention nationale pour l’intégration de la santé et sécurité au travail (SST) dans l’enseignement agricole. Elle inclut une liste d’actions à décliner au niveau régional, sur plusieurs grands axes comme la formation des équipes éducatives et l’élaboration d’outils pédagogiques.
Un réseau santé et sécurité au travail
« Malgré une baisse des accidents, nous constatons malheureusement qu’il y a toujours des décès de jeunes scolarisés, sur leur lieu de stage. On en dénombre six rien que pour l’année 2017-2018. C’est problématique », déplore Sophie Cabel, animatrice du réseau santé et sécurité au travail. Ce dispositif est créé en 2019 par la direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER) pour veiller à la déclinaison des actions sur les territoires et une meilleure coordination des acteurs.
« Mon premier travail est de prendre contact avec notamment les directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf), pour identifier leurs problématiques. Au sein d’une même région, les politiques peuvent être différentes, d’autant plus que les découpages de l’enseignement agricole ne correspondent pas forcément à ceux des caisses de MSA. Parfois ce sont celles-ci qui donnent l’impulsion, parfois c’est la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte). Après avoir identifié les différents référents SST, mon rôle est de l’informer sur les politiques publiques, de mieux les outiller pour communiquer vis-à-vis des établissements et de mutualiser les bonnes pratiques. Beaucoup d’outils existent mais ne sont pas forcément adaptés ou valorisés. J’attends impatiemment de pouvoir être davantage sur le terrain. »
Réinventer l’apprentissage de la prévention
Avec toujours cette question en tête : comment enseigner la santé et sécurité au travail à des jeunes d’à peine 16 ans qui pour la plupart partent en stage dès la seconde ? « Dans la psychologie adolescente, la notion du risque est complètement différente, continue Sophie Cabel. Il faut prendre ça en compte dans l’enseignement mais aussi pour les tuteurs. Il y a une manière de faire, la théorie ne suffit pas. On souhaite développer d’autres moyens de prévention, plus ludiques, comme des escape game, pour mettre les élèves en action. Ils expérimentent et retiennent ainsi mieux qu’un cours traditionnel. » Les Trophées prévention jeunes créés et organisés par les MSA en sont un bon exemple.
Pour favoriser ces bonnes pratiques et accompagner les équipes éducatives, la SST gagne du terrain et expérimente. Vous connaissez peut-être le jeu en ligne TousCaps, créé en 2017 sur les gestes qui sauvent en partenariat avec la fédération nationale des sapeurs-pompiers de France. Des modules sur les risques professionnels y ont été ajoutés, notamment cette année sur les gestes barrières en situation de travail. Les jeunes peuvent ainsi l’utiliser quand ils veulent, et les enseignants s’en servir pour préparer au départ en stage.
Pour accompagner la reprise post-confinement et la rentrée 2020, un diaporama « Reprendre sa scolarité avec le Covid-19 », réalisé avec AgroSup Dijon, a également été mis à disposition. Des outils pratiques, notamment pour les élèves qui ont pu se rendre en stage cet été. « Le but est de montrer que notre attitude de prévention face au Covid est transposable aux autres risques, précise l’animatrice. Les inspecteurs SST de la DGER qui travaillent sur TousCaps ont aussi créé une formation e-learning Agir face au virus Covid-19 à destination des équipes éducatives. Il y a beaucoup d’élèves internes dans l’enseignement agricole [58 %]. Il est donc important d’être bien au fait des gestes barrières, du processus de contamination, du vocabulaire approprié et cohérent vis-à-vis des apprenants… Ça permet de rassurer. »
Des formations pour les enseignants
Former les enseignants est d’ailleurs un enjeu important de la convention tripartite. « Avant, il n’y avait rien pour eux en SST, à part le certificat de sauveteur secouriste du travail. On cherche donc à développer leurs compétences, qu’ils soient nouveaux ou pas, pour mieux faire passer les messages de prévention. Nous avons mis en place en 2019 une formation avec AgroSup Dijon sur l’éducation à la SST à travers des binômes enseignant-enseignant, enseignant-direction, enseignant-infirmière de différentes spécialisations. On y développe notamment la psychologie adolescente et l’importance du retour de stage. Trop souvent, on ne revient pas assez sur ce qu’ils y ont vécu. C’est pourtant sur cette verbalisation d’expérience que plein de choses se jouent en termes de prévention. Le but est de monter par la suite un dispositif au sein de l’établissement scolaire. » Un guide d’accompagnement à l’éducation aux risques professionnels vient d’être édité en complément.
Et quand il n’y en a plus, il y en a encore… « Nous avons commencé à travailler sur une nouvelle formation des enseignants axée sur les gestes professionnels, en partenariat avec la MSA et l’école nationale supérieure de formation de l’enseignement agricole (Ensfea) de Toulouse, comprenant un temps en entreprise. Avec la masterisation, les enseignants ont en effet moins d’expérience professionnelle qu’auparavant. Le but est de réduire le fossé entre la théorie enseignée aux élèves et le travail réel qu’ils vont vivre en stage et dans leur métier. »
Une expérimentation aura lieu sur les territoires des MSA Marne Ardennes Meuse et Auvergne-Rhône-Alpes avant de la décliner au national. L’évaluation des risques d’accidents et les mesures de prévention sont en effet au menu des programmes scolaires. « Mais les enseignants n’ont eux-mêmes jamais travaillé sur ce sujet dans leur formation initiale, confirme Matthieu Danguin, responsable de la prévention des risques professionnels à la MSA Ain-Rhône et membre du comité de pilotage national de l’enseignement agricole. La formation sera divisée en trois temps : un premier sur l’analyse d’une situation de travail, grâce aux méthodes d’ergonomie, qu’ils vont ensuite vivre en stage dans une entreprise, comme leurs élèves. Enfin, on reviendra sur leur expérience afin de transformer le tout en temps pédagogique avec leurs élèves. Ce projet a suscité un fort engouement auprès des directeurs d’établissement que nous avions réunis lors d’une journée sur la responsabilité juridique en cas d’accident du travail d’un élève en stage. L’idée est par ailleurs de faire participer plusieurs enseignants d’un même établissement pour créer ensuite une dynamique collective. »
Pas le temps de s’ennuyer. Et les idées ne manquent pas non plus pour les étudiants : un réseau d’élèves volontaires et formés va se construire à l’image des écodélégués (qui agissent sur le développement durable depuis plusieurs années dans les établissements agricoles). Plusieurs établissements de Bretagne, de Provence-Alpes-Côte d’Azur, d’Occitanie
et d’Île-de-France vont se prendre au jeu pour tester ces délégués santé et sécurité au travail afin de créer des outils appropriés. Si la crise sanitaire a ralenti beaucoup de projets, l’émulation dans l’enseignement agricole ne se laissera pas stopper. Prochain défi : former un groupe de travail avec le réseau handicap du ministère afin d’améliorer l’accueil des jeunes notamment lors des ateliers pratiques et des stages. Nos futurs professionnels sont entre de bonnes mains.
Les internats en temps de Covid-19
Pour accompagner la réouverture des internats dans de bonnes conditions, la CCMSA a réalisé avec la DGER et la direction générale du travail un livret à destination des directeurs d’établissements. Objectif : évaluer la situation et mettre en place des protocoles adaptés. Distanciation physique dans les chambres, axes de circulation, sanitaires et douches séparés ou non, aération…
« L’idée était qu’ils puissent estimer si leur organisation est adaptée dans le cadre de la crise sanitaire par rapport aux règlementations en vigueur grâce à un court questionnaire et une grille d’évaluation, avec un système de couleurs, explique Véronique Maeght-Lenormand, médecin conseiller technique national de la MSA. En fonction des résultats obtenus, ils doivent engager des actions sur tel ou tel thème en vue de leur ouverture. »
Un travail qui sort quelque peu du champ habituel des équipes qui s’occupent du suivi médical des élèves dans le cadre de leur formation et de leurs stages. « Nous analysons les risques professionnels auxquels ils pourront être exposés. Nos conseillers en prévention interviennent sur le terrain en organisant notamment des actions collectives de sensibilisation. »