Comment vous sentez-vous ?
J’ai été touché deux fois : le 22 mars et le 18 octobre 2022. C’est très dur l’euthanasie. J’ai perdu tous mes animaux alors que j’y suis attaché. Là ça va mieux. J’essaie de relever la tête et de penser à autre chose. Tout ça n’est pas facile à vivre.
Comment vous projetez-vous pour la suite ?
Je vais redémarrer l’activité. C’est mon métier. J’aime ce que je fais. Mais j’ai peur. Le matin quand j’irai voir mes animaux je me demanderai toujours si ça va aller, si le virus ne va pas encore revenir. Il y aura toujours cette épée de Damoclès au-dessus de la tête.
Êtes-vous seul sur votre exploitation ?
Je suis tout seul sur l’exploitation. Le principal salaire de la maisonnée, c’est l’exploitation qui l’amène. Il y a aussi le salaire annexe du conjoint. Ça évite la casse. Mais ce n’est pas suffisant pour faire nourrir la famille, payer la maison et les bâtiments.
Avez-vous été accompagné dans cette épreuve ?
J’ai été très accompagné à la première vague. Car je suis descendu très bas. Il y a eu les soutiens mis en place par la MSA et bien sûr l’aide de la famille. Heureusement car sans ces appuis, je n’aurais pas supporté cette épreuve [La voix est tremblante, remuée par l’émotion comme une blessure pas encore refermée, NDLR].
Toutes les bêtes étaient malades ?
Dès le moment où l’élevage est déclaré « contaminé à l’influenzia aviaire », les services vétérinaires abattent le site entier. Pendant l’intervention, on sort toutes les larmes de son corps. Certes je n’y suis pour rien. Personne n’y peut rien… L’épidémie est mondiale. Beaucoup d’éleveurs sont touchés. Mais c’est le fait de ne pouvoir rien faire qui est difficile à supporter.
En parlez-vous avec d’autres collègues ayant connu la même chose que vous ?
Notre malheur fait notre bonheur aussi. Je fais partie d’un groupement d’intégration. Je fais de la reproduction. Cela nous a rapprochés. Avant on ne se parlait que deux fois par an. Là on échange beaucoup plus.
Vous êtes éleveur spécialisé dans la reproduction ?
On fait des reproducteurs (qui ont une bonne souche génétiques). En fait, on a des animaux (mâles et femelles) qui vont se reproduire derrière pour faire des canetons.
Les services sanitaires vous ont-ils expliqué pourquoi vos bêtes ont été contaminées ?
Si seulement ils avaient pu me le dire, j’aurais bien aimé le savoir.
Comment s’est déclaré l’événement de la grippe ?
Au printemps, en Maine-et-Loire, on voyait une vague arriver. Elle venait de Vendée. Tous les jours, elle progressait de 10 à 20 kilomètres. Les élevages tombaient au fur et mesure de son avancée. On la sentait se diriger vers nous. On croisait les doigts pour qu’elle passe à côté. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Quand elle est passée, l’élevage a eu le temps d’être décimé.
Au mois de mars les services sanitaires et les sociétés d’équarrissage ont été débordés. Ils ne pouvaient pas intervenir partout et tout de suite. Au mois d’octobre, j’ai reconnu les symptômes tout de suite. Je connais mes animaux. Je sais quand ils n’ont pas le tempérament habituel.
Les premiers symptômes, ce sont le manque de vivacité, l’absence de bruit. Les bêtes ne font plus un seul bruit dans le bâtiment. L’abreuvement et l’alimentation ne se font plus naturellement. Après ça évolue vite par des symptômes nerveux.
Vous êtes éleveur depuis combien de temps ?
Mes parents ne sont pas issus du milieu agricole. J’ai fait des études dans l’agriculture. Au fur et à mesure, j’ai été ouvrier, responsable de site. Pour finir, j’ai voulu m’installer. J’ai trouvé un site à reprendre. J’ai saisi l’occasion.
Quelles sont vos difficultés ?
J’ai toujours mon outil de travail. Ce sont les bâtiments. Par contre ils ne sont pas payés. J’ai encore une dette envers la banque et des prêts qui courent. Le gouvernement doit nous verser des aides. On les attend. La première crise s’est produite il y a un an. Pour l’instant je n’ai rien touché. Quand est survenue la première vague en mars, j’ai décalé toutes mes échéances. Depuis, je ne rembourse aucun prêt. Cela a été accepté. Les banques sont compréhensives là-dessus. C’est dans leur intérêt de faire le maximum pour que les éleveurs puissent s’en sortir. Ça c’était la première crise.
Pour la deuxième crise, ça commence à être compliqué parce qu’on croyait sortir du tunnel. Finalement on en est encore loin. On n’en voit pas le bout. On replonge une deuxième fois dedans. Il n’y aura pas de bout du tunnel sans vaccination.
L’espoir, c’est la vaccination ?
La seule façon de sortir de cette crise mondiale, c’est la vaccination. On a essayé la biosécurité [C’est le plan qui a été mis en place en 2018 par l’Etat, avec des élevages clôtures, avec des sas sonores, NDLR]. Ça ne fonctionne pas pour le virus. Elle a des bienfaits pour autre chose mais pas pour le virus. Le seul moyen de sortir de cette crise, c’est la vaccination.
Le virus est-il lié aux oiseaux sauvages ?
Le virus a pris une telle ampleur au printemps qu’il est devenu endémique. Il a contaminé toute la faune sauvage. Vu qu’on ne peut lutter contre la faune sauvage, on ne pourra pas les empêcher de voler au-dessus de nos élevages ou de passer à côté. La seule façon d’éradiquer le virus, c’est la vaccination. On ne peut pas lutter contre des oiseaux sauvages.
Le gouvernement annonce une vaccination possible dès l’automne. Vous allez attendre jusque-là ?
Aujourd’hui le gouvernement nous empêche de remplir. Mon site a été placé en zone de surveillance je ne sais pour combien de temps. Pour la reprise, c’est l’inconnu. Le gouvernement actualise sa carte assez régulièrement en fonction des cas qui sortent. Là depuis quelques jours il n’y en a plus. J’espère pouvoir redémarrer au printemps. Après ce sera selon la levée de zone. Derrière, je ne peux pas attendre l’automne étant donné que j’ai des prêts à rembourser. Il faut que je fasse rentrer de l’argent sur mon exploitation pour rembourser mes prêts et aussi pour me dégager un salaire à côté.
Actuellement, je suis obligé de travailler à l’extérieur pour faire vivre ma famille. J’ai un métier et je ne peux pas vivre de mon métier. C’est décourageant et sidérant. Malheureusement quand on est touché, on ne peut pas remplir tout de suite. J’ai été touché au mois de mars 2022 et je n’ai eu l’autorisation de remplir que fin juillet. Le temps qu’il ait des canetons, j’ai rempli fin août. Là j’étais redevenu fort moralement. Je me suis dit allez : « Hop, on remonte sur le cheval, il n’y a pas de raison pour que ça arrive. »
La deuxième fois, c’est quand même décourageant. J’ai eu les animaux deux mois au lieu de six mois. Quand on voit les symptômes arriver, on est un sidéré par la situation. On est impuissant [il répète le mot]. On peut faire tout ce qu’on veut : on est impuissant contre ce virus. C’est démoralisant. Là je vais redémarrer au mois d’avril-mai. Tous les jours j’aurais la boule au ventre en descendant au boulot.
La MSA vous accompagne ?
Oui là encore, la crise a eu des bons côtés. Honnêtement je ne connaissais pas les aides de la MSA. Quand l’exploitation marche bien, on ne se tourne pas vers les aides ou la MSA. Celle-ci a mis en place des groupes de parole. J’ai participé à l’un d’entre eux. C’était très enrichissant. Entre éleveurs touchés, c’était très fort. Après ce dispositif, j’ai appris qu’il y avait des aides au répit dont j’ai bénéficié. Je vais d’ailleurs le refaire. J’en ai fait la demande.
Dans le Sud-Ouest, il y a eu abattage de trois zones par précaution. Ça vous a surpris ?
Les autorités sanitaires ont fait ça aussi chez nous fin novembre, début décembre : abattage préventif. La différence avec mes collègues du Sud-Ouest, c’est que cela fait quatre ou cinq ans que le virus est endémique chez eux. Eux aussi ils subissent ça depuis bien plus longtemps que nous.
L’abattage préventif se fait à au premier symptôme de la grippe aviaire ?
Oui. Cela s’est produit dans la région. Moi, je n’ai pas eu l’abattage préventif parce que je suis en reproduction. Si je n’avais pas été contaminé les autorités sanitaires n’auraient certainement pas abattu mes canards car je suis en reproduction. C’est considéré comme un élevage prioritaire. On essaie de préserver la reproduction, parce que s’il n’y a pas de reproduction, derrière la filière ne peut pas démarrer. Mon problème, c’est que j’ai eu des symptômes. J’ai été contaminé à l’influenza. Moi ça n’a pas été préventif. C’est parce que j’ai été cas.
Vous faites quoi comme travail en ce moment ?
Je suis resté dans le domaine agricole. Au printemps j’ai été travaillé comme salarié dans la coopérative d’utilisation de matériel agricole (CUMA) de ma voisine. Là je suis embauché chez mon intégrateur à mi-temps. Je ne suis pas d’un tempérament à rester chez moi à attendre. D’une cela me permet d’avoir un salaire pour la maison. De deux ça occupe l’esprit.
Vous avez des enfants ? Ils ont vu les bêtes ?
Oui j’ai trois enfants. Le pire, c’est ça. Ils en ont pleuré. Ils s’inquiètent pour nous.
Pourquoi ?
A la première vague je suis tombé plus bas que terre, ils se sont posé des questions. Pourquoi papa est comme ça ? Qu’est ce qui se passe ? A la deuxième fois, mon grand m’a dit : « Papa tu as encore perdu ton métier. On va faire comment pour vivre ? » C’est très dur à entendre psychologiquement. Ces phrases-là, je ne les ai pas oubliées.
A Neuvy-en-Mauges, il doit faire bon y vivre.
On y vit très bien. On est très heureux là où on habite. On s’en rend compte lorsque tout va bien. Quand c’est compliqué, c’est bien d’avoir des voisins.
Vous vous étiez préparé à cette nouvelle contamination ?
Quand j’ai redémarré au mois d’août, je me suis toujours dit psychologiquement il faut te préparer parce que cela va revenir. Il n’y a rien qui a été fait entre le mois de mars et le mois d’août pour nous protéger de l’influenzia. Je savais que psychologiquement que ça allait revenir. C’est moins dur au deuxième coup. Mais c’est dur quand même.
Vous avez combien de bêtes ?
4 000 canards par bâtiment : moi je fais de la reproduction. Les animaux ne m’appartiennent pas. Ils appartiennent à l’accouveur. Ils m’amènent des animaux d’un jour, qui viennent de naître. Moi je les prépare pour qu’elles soient prêtent à pondre. Quand les bêtes sont prêtes à pondre l’intégrateur ou l’accouveur récupère ses animaux pour les emmener chez un autre éleveur pour les faire pondre. Je suis éleveur de futurs reproducteurs. On est en bas de l’échelle, les premiers de la filière.
Comment vous sentez-vous ?
Je ne suis pas déprimé mais résigné devant la situation. Tant qu’il n’y aura rien de mis en place, c’est triste à dire mais on se dit : « à quand la prochaine ? » Il n’y a pas d’autres solutions que le vaccin. On a essayé la biosécurité, on a essayé beaucoup de choses. On voit que le virus passe dans tout type de bâtiment. Il n’y a pas un éleveur plus favorisé que d’autres. Le virus ne choisit pas de cible. Il passe partout où il veut passer. On pourra faire tout ce qu’on voudra, la vaccination est la solution possible.