Jeannette Gros fait partie de ces personnes qui ont marqué leur temps. Première femme à devenir présidente nationale de la MSA, elle aura consacré sa vie aux autres et aux femmes. D’ailleurs, quand on lui demande ce qu’elle retient de ses années de militantisme, elle met en avant le collectif, le travail commun. Mais surtout, la personnalité extraordinaire des gens qu’elle a eu la chance de rencontrer au cours de sa vie, sans jamais se mettre en avant. Et pourtant, malgré sa modestie, celle qui a aujourd’hui 81 ans a bien œuvré pour améliorer la vie des familles et des femmes dans le monde agricole.

La condition des femmes en milieu rural, elle y est confrontée dès son enfance. Issue d’une famille d’agriculteurs, elle a grandi avec trois sœurs à Boujaille, dans le Doubs, où elle vit toujours. La région s’est organisée autour d’un système coopératif avec les Fruitières. Ces coopératives laitières qui fabriquent le fromage de comté avec le lait mis en commun par les éleveurs du village.

S’engager pour une vie meilleure

C’est en 1968 qu’elle revient s’y installer avec son mari pour reprendre l’exploitation d’élevage laitier de ses parents. Après avoir été professeure de français, la transition d’une vie citadine à celle d’agricultrice est rude. Au choix de vie difficile s’ajoute l’image de sa mère et des femmes de sa génération qui ont eu la vie dure.

« Je suis rentrée en 1968. À cette époque, les filles n’étaient pas très attirées par cette vie. L’exemple de nos aînées nous avait beaucoup marquées. Le bon vieux temps, comme on l’appelait, ne l’était pas du tout pour elles. » Les femmes ne trouvaient aucun répit entre le fait de s’occuper de la famille et le lourd travail de la ferme qu’elles partageaient du matin au soir avec leur mari. Elle redécouvre le milieu rural tel qu’il existait. Il n’y avait pas encore d’écoles maternelles dans tous les villages, ni de congé maternité, des conditions de travail épuisantes, peu de confort.

Un contexte qui laisse très peu de place à l’épanouissement personnel. Son engagement s’impose, dès lors, comme une nécessité d’avoir une vie meilleure à la fois à la maison et au travail. « Il fallait vraiment améliorer la vie quotidienne », se souvient‑elle.

« Les femmes savent passer par-dessus leur amour-propre pour demander de l’aide quand un problème grave surgit dans l’exploitation. » © L. PERENOM_CCMSA

Un militantisme qui s’organise

Trouver une place dans la société, changer les conditions de vie, avoir un meilleur statut et une meilleure retraite… les femmes ont alors de nombreux combats à mener. Pour Jeannette Gros, l’important est de faire évoluer la société rurale et les mentalités à travers des actions communes, et d’offrir une vie meilleure à ces femmes qui donnent tout. « Elles cherchaient une vraie place reconnue dans la société. Elles assumaient un vrai travail et avaient une disponibilité permanente », note-t-elle.

La Jeunesse agricole catholique (Jac) avait déjà fait un travail énorme dans les années 60. Et avait tracé la route en formant des militants et militantes qui sont souvent devenus des responsables dans toutes les instances agricoles. Dans les années 1970, des groupes de commissions féminines syndicales se forment. « Elles ont fait un travail extraordinaire : dans ma région, les femmes assuraient souvent la traite matin et soir et étaient en formation l’après‑midi ou la journée, tout ça en ayant le souci des enfants et de la maison. Mais elles ont tenu bon ! J’ai une grande admiration pour elles », souligne l’ancienne présidente.

Dans ces commissions féminines ou groupements de vulgarisation, elles trouvent un espace de parole, partagent leurs expériences, mettent en commun leurs récits de vie. Ça a permis de faire avancer les choses et de donner au monde des preuves des situations qu’elles vivent et rencontrent. « Elles peuvent y témoigner de tout ce qui touche aux différentes générations : des enfants aux personnes âgées, ce qui revient à parler de toutes les institutions et toute la chaîne du social : écoles, santé, retraites, conditions de travail dans les exploitations… »

Nous retrouverons ces femmes dans les conseils d’administration de la MSA, le syndicalisme, les chambres d’agriculture, ou encore les associations rurales, les conseils municipaux, etc. « Elles ont commencé à s’organiser et à s’investir dans les institutions locales.» Les mouvements de femmes faisant une place centrale à l’entraide se structurent. Le militantisme féministe dans les campagnes est né.

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Un engagement sans faille

Après son installation et au fil des années, Jeannette Gros prend peu à peu plus de responsabilités. Elle commence par devenir administratrice au conseil de la MSA du Doubs en 1980. En 1989, elle est désignée présidente départementale de la MSA. Une mission qui s’ajoute à son travail d’agricultrice et à ses responsabilités en tant que mère. Elle a aussi la route à parcourir pour se rendre à Besançon qui se situe à 58 kilomètres de son exploitation, avec parfois des conditions difficiles en hiver. Mais grâce à une bonne organisation, elle arrive à tout concilier.

Son engagement prend une nouvelle dimension lorsqu’elle est élue en 1997 présidente nationale de la MSA. C’est alors la première femme à occuper cette fonction qu’elle remplit jusqu’en 2005. Un rôle qu’elle prend à cœur et qui lui permet d’agir de l’intérieur.

Elle porte la voix du mutualisme et des femmes auprès des institutions au niveau national et européen, voire dans certains pays hors de l’Union européenne grâce à ses fonctions. Le guichet unique propre à la MSA est d’une grande aide car il permet de tenter d’approcher tous les problèmes que les ruraux rencontrent au quotidien et à tous les âges de la vie : crèches, retraites, santé, installations…

Travail sur le statut de conjointe collaboratrice, organisation des hôpitaux, des maisons pour personnes âgées, des maisons de santé, questions sociétales, nouvelles technologies en santé… les dossiers sur lesquels Jeannette Gros travaille sont variés et touchent au quotidien des adhérents et adhérentes.

Un atout pour le monde professionnel

Jeannette Gros insiste : « Je pense que l’engagement des femmes est une chance pour le monde agricole. Il apporte beaucoup à la réflexion commune». Avec des atouts qui leur sont propres. « Elles sont par exemple très sensibles à la prévention. On sait mieux en tant que femme que le métier est difficile et qu’il ne sert à rien de se tuer au travail pour gagner sa vie. Elles savent passer par‑dessus leur amour‑propre pour demander de l’aide quand un problème grave surgit dans l’exploitation. »

En avançant pas à pas, en travaillant sur des projets de lois, en essayant d’exporter le modèle mutualiste auquel elle croit et en contribuant à donner aux femmes la place qu’elles méritent, Jeannette Gros a contribué à changer le milieu rural. Ces avancées précieuses, ces acquis, « On doit travailler sans relâche pour les garder et si possible les adapter aux changements de la société », conclut-elle avec détermination.

Vent debout pour le mutualisme

Présidente de la mutualité sociale agricole de 1997 à 2005, Jeannette Gros a porté les valeurs du système français de sécurité sociale et les spécificités du régime. Dans un ouvrage de 175 pages, La protection sociale à cœur ouvert : manifeste pour une approche solidaire du développement social et économique, paru en 2004 aux éditions du Cherche‑Midi, elle livre un vibrant hommage au mutualisme agricole et à ceux qui le façonnent, défendant avec conviction le système de solidarité qui confère sa valeur à la sécurité sociale. L’ancienne agricultrice y fait l’éloge d’une protection sociale de proximité, où les femmes occupent un rôle de premier plan.

Photo d’ouverture : © L. PERENOM_CCMSA