« J’avais de la fièvre toutes les nuits. J’étais fatigué, je toussais, je crachais… C’était de plus en plus intense, jusqu’à vomir. Au contact de la poussière, c’était un calvaire. À la fin, j’avais perdu du poids, je n’avais plus de force. »
Raphaël Faivre, producteur de lait en appellation Comté à Lemuy, dans le Jura, a fait plusieurs crises aiguës avant que les médecins ne comprennent ce qui le rendait malade… De longs mois à se demander ce qu’il se passait. Puis, en 2008, le pneumologue avec qui il avait rendez-vous l’admet sans attendre à l’hôpital de Besançon. Il a seulement 33 ans, le diagnostic tombe enfin : il est atteint du poumon de fermier, une maladie allergique causée par l’inhalation de poussières contaminées par les moisissures du foin.

Un diagnostic difficile

Aujourd’hui, à 47 ans, il est témoin expert pour le réseau de pathologies respiratoires agricoles national (Repran), porté par la MSA de Franche-Comté. Il partage son expérience lors de conférences organisées afin de sensibiliser les professionnels du monde agricole et de la santé. Comme le 15 décembre à Nozeroy, à 20 km de chez lui, où une trentaine de personnes se sont déplacées pour la journée préparée par Amélie Bonneau, l’animatrice du territoire, et les délégués MSA.

Il faut dire que cette maladie respiratoire, une pneumopathie d’hypersensibilité due à l’inhalation des spores et moisissures des poussières issues notamment de fourrages ou de céréales, est difficile à diagnostiquer. Elle fait partie des quatre pathologies professionnelles pulmonaires agricoles avec les bronchites chroniques agricoles, les asthmes et les bronchopneumopathies toxiques, moins fréquentes. Intrinsèquement liés à l’activité professionnelle, les cas sont aussi divers que le sont les conditions de travail. Neuf fois sur dix, l’origine est la moisissure, qui produit des spores qui se déposent dans les alvéoles, au plus profond du poumon. Rares dans la population générale, elles touchent cependant 5 à 10 % des travailleurs agricoles.

Environ 8 200 actifs sont exposés au risque respiratoire en Franche-Comté.

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« La paille, le foin et les farines représentent 90 % des expositions professionnelles chez les éleveurs laitiers, explique le Dr Jean-Michel Lornet, médecin du travail du Repran.

Dans les poussières, on trouve ce qu’on appelle des aérocontaminants, qui sont très variés dans leur nature comme dans leur mode d’action : cela va des poussières végétales aux micro-organismes (bactéries, virus) en passant par les produits chimiques, les protéines animales, insectes, acariens… »

Le stockage du foin en cause

Les éleveurs sont très exposés à ce risque, et sur ce territoire du premier fromage d’appellation d’origine protégée (AOP) français, ils sont majoritaires. Près de 8 200 actifs sont concernés en Franche-Comté, dont 8 à 12 % développent chaque année l’une de ces maladies, notamment la bronchite chronique ou l’asthme. « Ici, les hivers sont longs et humides, et il y a beaucoup de campagnols qui mettent de la terre dans la paille et la contaminent », souligne Emmanuel Faivre, président de l’association de santé, d’éducation et de prévention sur les territoires (Asept) Franche-Comté-Bourgogne et administrateur de la MSA.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas lors des moissons que l’exposition survient, mais bien pendant l’hiver. « Le foin est récolté, séché et engrangé sans moisissures, continue Jean-Michel Lornet. C’est pendant la phase de stockage que celles-ci se développent, dans des conditions favorables, dues en particulier à la nature et la qualité du séchage. Plus on fauche court, plus on est susceptible de ramener de la terre, ce qui produit une quantité d’eau résiduelle importante pendant le séchage. Les moisissures vont ainsi se développer à cause de cette humidité. Les études ont également démontré des différences entre les fermes traditionnelles et modernes, plus aérées, ainsi qu’entre les façons de travailler. Plus la densité d’empoussièrement est faible, plus les capacités respiratoires sont bonnes. Évidemment, changer de bâtiment est plus facile à dire qu’à faire, mais quelles que soient les conditions, il faut garder en tête cet objectif d’avoir une densité de poussière la plus faible possible. »

Jean-Michel Lornet, médecin du travail du Repran.

Notre but est d’arriver à déconstruire les idées reçues, d’aider ceux qui sont déjà malades à continuer de travailler, et de faire en sorte que les autres ne le deviennent pas. Beaucoup considèrent qu’il est normal, lorsqu’on travaille dans une ferme, de tousser, d‘être essoufflé… que ça fait partie du métier. Mais ce n’est pas comme la cotte et les bottes, ça ne fait pas partie du pack.

Mettre un masque est une solution, mais si on ne change rien à côté, le problème reste le même. L’idée est de réfléchir à ses pratiques professionnelles, ce qu’il est possible de changer, aux avantages et inconvénients de chaque solution : comment je fane, je récolte (prairie humide, hauteur de coupe, pressage…), je stocke (séchage en grange, tunnel plastique, bâche, brise vent…), je distribue ? Ma stabulation est-elle en aire paillée, en logettes, entravée… Est‑ce que j’utilise une pailleuse, une dérouleuse ? Comment s’organise le travail, la répartition des tâches, y a-t-il un vestiaire ? Parfois quelques petits changements peuvent payer.

Nos voisins agriculteurs suisses ont notamment adopté la bonne pratique du vestiaire. Ils se changent systématiquement avant de rentrer chez eux. Certains ont même une machine à laver sur le lieu de travail. Cela permet d’éviter de transporter des moisissures et de les déposer sur le canapé, le tapis… C’est dommage de mettre en œuvre de nombreuses solutions dans la ferme pour respirer les moisissures à la maison. Afin d’accompagner toutes ces solutions, il ne faut pas hésiter à solliciter la MSA, mais aussi Cap emploi, la chambre d’agriculture ou encore son assureur.

« Certains tiennent dix ans sans en parler »

Avant de construire un nouveau bâtiment en 2007, Raphaël Faivre travaillait avec ses parents « dans une ferme très traditionnelle, confinée, où il y avait beaucoup de poussière. Et même après, dans le bâtiment neuf, je donnais souvent le foin à la main et j’utilisais une pailleuse classique. La contamination était régulière. »

Raphaël Faivre, éleveur bovin-lait à Lemuy, dans le Jura, atteint du poumon de fermier.

Après ma maladie, nous avons réfléchi à la meilleure façon de continuer mon métier dans de bonnes conditions. En 2011, j’ai converti le bâtiment de la ferme, en aire paillée, en 86 logettes avec tapis afin de réduire la quantité de paille : je suis passé de 7 kg par vache par jour à 2-3 kg, et je suis très exigeant sur sa qualité. J’ai également acheté une dérouleuse de bottes, ce qui réduit énormément la poussière, et j’ai complètement fermé ma salle de traite avec des rideaux en plastique.

Ce qui m’a sauvé, c’est de porter un masque immédiatement. Malgré ces améliorations, à la fin de la journée la protection est quand même sale. Pour moi c’est indispensable car mon seuil de tolérance est très réduit aujourd’hui.

En 2021, j’ai investi dans une pailleuse automatique suspendue. Dotée d’un filtre, elle permet de s’éloigner complètement du paillage, puisque la machine fait tout le travail. C’est un gros investissement, environ 90 000 €. Chaque exploitation est différente, il faut trouver ce qui convient pour chacun. Aujourd’hui je suis toujours agriculteur et je suis en forme. C’est ce qui compte.


Problème : les symptômes, qui apparaissent en hiver, ont tendance à disparaître au printemps. « Beaucoup se disent alors que ce n’était pas grand-chose… puis l’hiver suivant, rebelote, et le suivant… ça peut durer longtemps comme ça !, déplore Jean-Michel Lornet. Certains tiennent dix ans sans en parler. Instinctivement, ils travaillent autrement, ils s’adaptent. Mais d’année en année, cela laisse des traces. L’essoufflement finit par ne plus s’en aller complètement. »

Un diagnostic d’autant plus difficile pour les médecins que les agriculteurs sont en meilleure santé que la population générale ; même atteints du poumon de fermier, leurs capacités respiratoires restent supérieures. En conséquence, ces maladies, qui touchent majoritairement les hommes, ne sont officiellement détectées qu’entre 45 et 55 ans en moyenne.

Après dix jours sous oxygène et un arrêt de travail prolongé, Raphaël Faivre a pu continuer son métier, non sans changements. « Le fait d’arrêter et de ne plus être en contact avec la poussière m’a vraiment remis sur pieds. Mais dès que j’en respire, le soir-même j’ai des frissons et de la fièvre. » Désormais, il répand la bonne parole pour faire avancer la détection de ces maladies encore trop méconnues.


Le réseau de pathologies respiratoires agricoles national (Repran), créé par la MSA, s’est donné pour mission d’améliorer la prévention, le dépistage et la prise en charge des maladies respiratoires agricoles tout en développant la connaissance de ce risque professionnel.

Il accompagne les agriculteurs qui en sont atteints et ceux qui veulent s’en prévenir en les aidant à améliorer leurs conditions de travail.

Il forme également les professionnels de santé (hospitaliers, médecins traitants, spécialistes) et facilite la mise en place de travaux de recherche avec les services référents (Centres hospitaliers universitaires, Institut national de médecine agricole, services de sante-sécurité au travail, réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelle).

Contacter le Repran : 07 86 71 70 18 repran@ccmsa.msa.fr

Photo d’ouverture : © Repran