Vous venez d’annoncer votre départ de la présidence de la MSA pour raisons personnelles quelques mois avant la fin de votre mandat. Comment allez-vous ?
Pascal Cormery. Deux raisons ont guidé ma décision. Je m’étais engagé à mettre fin à mes fonctions de président de la Caisse centrale avant la fin de mon mandat pour permettre au nouveau président de mener les élections MSA 2025, porter notre projet stratégique MSA 2030 et de négocier la COG. Mon départ devait ainsi intervenir à l’issue de l’assemblée générale de la Caisse centrale, en juin prochain. Une autre donnée m’a fait revoir ce planning : le départ à la retraite du directeur général, François-Emmanuel Blanc. Pour permettre à l’exécutif de la caisse centrale de se projeter plus efficacement dans les grandes échéances qui nous attendent, j’ai souhaité faire coïncider mon départ avec celui de François-Emmanuel Blanc que je remercie chaleureusement pour sa pleine et entière implication à mes côtés. Ainsi, le conseil central procédera à l’élection de son nouveau président le 4 avril prochain qui pourra s’appuyer sur toute l’expertise et la détermination de la nouvelle directrice générale Anne-Laure Torrésin qui connait très bien notre institution, et sur le Premier vice Président, Thierry Manten, avec qui nous avons eu à cœur de veiller aux intérêts du régime et des adhérents. Mon départ me permettra également de subir une opération au genou trop longtemps différée.
Cette période reste complexe. Dans le contexte inflationniste qui est le nôtre depuis 2 ans, il est indispensable que les pouvoirs publics nous donnent les moyens de faire vivre et même de renforcer la présence et l’action de la MSA sur l’ensemble du territoire, au plus près de nos ressortissants et des populations rurales.
Le contexte actuel des manifestations du monde agricole illustre bien la nécessité de disposer des relais les plus appropriés pour accompagner la mise en place des réponses adaptées à la réalité du malaise très fortement exprimé sur les territoires. Plus que jamais, la complémentarité du trio formé par le président, le premier vice-président, et le directeur général, tant au niveau central qu’à celui des caisses du réseau, doit constituer un atout pour pleinement accomplir l’action des différentes composantes de notre institution, élus non-salariés et salariés, et collaborateurs de la MSA.
Vous nous recevez dans votre ferme, installée à Neuvy-le-Roi, dans l’Indre-et-Loire. Parlez-nous de votre métier d’agriculteur et de votre engagement.
Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours aspiré à devenir agriculteur. C’est un métier passionnant. Je suis associé depuis 1990 sur une exploitation en polyculture, élevage (porcs et bovins viande) dans un petit village de Touraine. Mon associé est l’un de mes anciens élèves de la Maison familiale rurale où j’ai enseigné pendant 10 ans. Au fil des années, je me suis investi dans l’ensemble des organisations professionnelles agricoles en prenant de nombreux engagements syndicaux au sein des chambres d’agriculture. Cela m’a mené vers mes fonctions de président de la MSA Berry-Touraine puis de la caisse centrale de la MSA en 2015. C’est dans ma nature, j’ai toujours été engagé au service du collectif. Cette envie de faire avancer les choses ensemble a toujours été présente.
Vous venez de faire votre 9e Salon de l’agriculture comme président de la MSA, comment va le monde paysan ?
Les manifestations des deux derniers mois témoignent d’un malaise profond. Les revendications les plus fortes portent sur les problèmes de revenus et la complexité administrative. Les agriculteurs réclament de pouvoir vivre dignement de leur activité tout en pouvant se concentrer sur celle-ci sans être parasités par l’administratif qui devient une part de plus en plus importante du métier. Entre le monde agricole et le grand public, c’est un peu « je t’aime moi non plus ». On le constate encore une fois avec le succès du 60e Salon de l’agriculture. Il y a une vision positive du monde agricole chez la majorité des Français, mais, dès que l’on aborde les sujets qui fâchent comme l’utilisation des produits phytosanitaires ou la défense de l’environnement, certains pensent que nous ne faisons pas d’efforts. Pourtant, depuis 30 ans nous avançons pour limiter l’utilisation des produits les plus dangereux et améliorer la qualité de l’eau et le bien-être animal. Il faut que les gens comprennent que, s’ils ont des produits sains à disposition dans leur réfrigérateur, c’est grâce à l’agriculture française qui a la capacité de produire des aliments de qualité à des prix abordables.
Quelles propositions peut faire la MSA face à la crise que traverse le monde agricole ?
L’assurance maladie, le droit du travail, de la famille, la retraite par répartition sont très protecteurs en France. La contrepartie, c’est que les règles qui les encadrent sont très complexes, ce qui peut provoquer des frustrations et des cas de non- recours de personnes qui n’activent pas leurs droits par méconnaissance ou lassitude. Il s’agit de savoir comment nous pouvons apporter notre expertise du terrain et de la proximité pour simplifier les démarches administratives de nos ressortissants. Mais cette question en entraîne une autre qui est celle des moyens alloués à l’institution. Il est nécessaire de maintenir des agences MSA ouvertes, d’avoir encore plus de France Services pour fournir une assistance à la population. Il faut aussi poursuivre les efforts entrepris sur la simplification demandée par les employeurs.
Et si c’était à refaire ?
Je re-signe car c’est un privilège. Pour les belles rencontres que ces deux mandats m’ont permis de faire, du professeur de médecine, en passant par des ministres, des présidents de la République et des milliers de travailleurs agricoles à travers tout le pays. À mon arrivée, j’ai eu la chance de pouvoir travailler avec Michel Brault, l’ancien directeur général, qui est né à 6 km de chez moi. Petits, on a joué ensemble au foot, mais on s’était perdu de vue. L’autre chance, c’est d’avoir formé un trinôme solidaire, efficace et respectueux des sensibilités de chacun qui a permis de faire avancer l’institution dans le bon sens avec François- Emmanuel Blanc, directeur général, et Thierry Manten, premier vice-président. Je remercie l’ensemble des membres du conseil d’administration pour la qualité de nos échanges, les délégués et les salariés qui font un travail irremplaçable sur le terrain.
Quelle est la suite pour vous ?
On n’est pas élu président à vie. On sait dès le départ que ça ne dure pas. L’essentiel, c’est justement de trouver la meilleure façon de transmettre à celles et ceux qui viennent après. Cette question de la transmission est très importante pour moi, peut-être parce que j’ai été enseignant. Je reste président de la caisse Berry-Touraine jusqu’aux prochaines élections. Ensuite je reprendrai ma place de délégué MSA de mon canton. J’ai choisi de ne pas arrêter complètement mon activité agricole, ce qui me permettra de ralentir tout en gardant un pied dans le métier. Avec Sylvie, ma femme, nous avons prévu de voyager, d’aller à la chasse et à la pêche et de nous occuper de nos petits-enfants et neveux, Maxime, Gaëtan, Agathe, Marius et Zélie. Quand ils veulent me taquiner, ils m’appellent tous « Monsieur le président ».
On se dit presque tout
Qu’est-ce qui vous donne envie de vous lever le matin ?
L’amour de mon métier. Celui-là, il peut aussi me réveiller la nuit, et c’est arrivé plus d’une fois. Il y a forcément des moments difficiles dans la carrière. Tout n’est pas linéaire dans la vie d’un agriculteur. Que sont devenus vos rêves d’enfant ? Ils sont devenus réalité. Mon frère m’a récemment dit : « Toi, tu as toujours fait ce que tu as voulu ! » Et ça, c’est le côté pile du sujet, parce que côté face, ça ne s’est pas toujours fait tout seul. J’ai réussi à faire ce que j’ai voulu parce que je me suis donné les moyens pour y arriver. Je viens d’un milieu modeste. J’ai fait mes études par le biais de la formation continue. J’ai bénéficié de l’ascenseur social.
Une personnalité que vous admirez ?
Edgar Pisani. Il a été ministre de l’Agriculture sous de Gaulle. Il possédait une maison à Vouvray non loin de chez moi et, quand j’étais jeune agriculteur, j’ai eu la chance de le rencontrer. Toute la profession lui doit beaucoup. Il avait une vraie vision de ce qu’il fallait faire pour nourrir les Français tout en faisant vivre dignement les agriculteurs. C’était une autre manière de faire de la politique aussi.
Un événement qui a changé votre vie ?
À 18 ans, j’ai fait mon service national chez les pompiers de Paris. J’étais chargé de la protection des théâtres parisiens. J’étais entouré de gars qui avaient fait Science po’, math sup’ et même l’ENA. Moi, je n’avais que mon BEP agricole en poche. Et là, je me suis dit, « Pascal, il faut que tu retournes à l’école. » J’ai fait ensuite toutes mes formations en promotion sociale jusqu’au BTS, ce qui m’a permis d’enseigner pendant 10 ans en Maison familiale rurale. J’y ai engrangé beaucoup de bons souvenirs et un mauvais, c’est là que je me suis abîmé le genou, celui dont je dois me faire opérer bientôt. J’ai aussi eu l’occasion de garder à peu près tous les théâtres de la capitale et donc d’être placé aux premières loges pour voir les pièces, les concerts et les spectacles à la Comédie-Française, au théâtre des Variétés, à la Gaîté Montparnasse, Hébertot, l’Opéra-Comique, aux Folies Bergère, à l’Olympia… J’ai croisé et sympathisé avec des artistes comme Salvatore Adamo, un mec en or, tout comme Guy Bedos, dont j’ai beaucoup apprécié les sketches et l’humour ainsi que la finesse d’esprit, même si je ne partageais pas ses positions politiques. Lorsqu’il arrivait au théâtre, la première chose qu’il faisait, c’était de dire bonjour à tout le monde, du balayeur au pompier de service… une vraie leçon de vie que j’ai toujours retenue.