À la question « Qu’est-ce qui vous distingue des autres ? », elle marque un temps, quelque peu décontenancée. « Je ne sais pas moi… Je suis rousse ! », hasarde-t-elle. Si arborer une chevelure cuivrée, c’est avoir un tempérament fougueux, alors oui, c’est bien ce stéréotype qui distingue Samia Libert, paradoxalement. Et du tempérament, il en faut. « Avec nos chiens de protection, des mâtins dont la mission est de dissuader tout intrus d’approcher le troupeau de brebis, on dérange : les promeneurs, les chasseurs, les gens du village… Sinon, on est tout le temps dans le conflit : conflits d’intérêt, d’usage du territoire, de voisinage ! »
Pour gérer ce genre de situations, entre autres, avec sa casquette de déléguée fraîchement élue de la MSA Midi-Pyrénées Sud, elle propose de mettre en place des formations à la communication non violente. Faut dire que Samia n’a pas opté pour le métier le plus facile.
Des Vosges à l’Ariège
La Vosgienne de Remiremont qui, petite, faisait les foins et gardait des chèvres chez des amis de ses parents – « On en perdait la moitié » – est devenue éleveuse à Salsein, dans l’Ariège, petite commune de quelque 50 âmes. Elle est depuis 2017, à la tête, avec son compagnon, d’un cheptel de 150 brebis mères tarasconnaises, 40 agnelles de renouvellement, une dizaine de chèvres pyrénéennes, deux chevaux… et d’un petit garçon de quatre ans. Non sans être passée au préalable par la case bergère (salariée en estive), notamment dans les Alpes.
C’est lors d’un stage dans une association de protection de la nature que Samia sympathise avec des bergers, des éleveurs et l’Ariège.
« Dans les années 2000, c’était difficile de trouver une place ici, surtout en tant que femme. Les éleveurs du coin disaient : “Pas de femme sur la montagne.” Mais je me suis arrangée, dans les Alpes, pour garder mes premières bêtes. Aujourd’hui, c’est l’inverse : certains préfèrent les femmes ; elles ont la réputation d’être plus sérieuses. »
Elle a bien essayé d’autres boulots : ça ne l’a pas fait. Aujourd’hui, l’un de ses plaisirs, c’est la mise bas de ses chèvres : « On ne sait jamais ce qui va en sortir : la variété des robes crée toujours la surprise. »
Une femme engagée
Samia défend : le bénéfice de l’indemnité journalière ou de l’allocation de remplacement du congé maternité dès le premier jour d’affiliation ; la possibilité de vivre décemment de son activité sans aides de la politique agricole commune (PAC), dont elle dépend « à 80 % », au profit d’un système qui rémunèrerait la qualité de son travail ; un modèle d’agriculture à taille humaine qui respecte la nature et qui s’affranchit de la spéculation foncière ; plus de liberté…
Elle ne défend pas : la réintroduction de l’ours ! « Une aberration, tranche-t-elle. Dans les Pyrénées, cela ne présente aucun intérêt écologique : ça plaît aux Parisiens et aux personnes qui ne sont pas concernées, qui ont encore l’image enfantine de l’ours et l’utopie d’un monde où la cohabitation serait possible. Je suis arrivée dans ce milieu avec cet idéal, mais ayant depuis plusieurs années essayé différentes techniques, je vois aujourd’hui que la cohabitation n’est pas possible dans les montagnes ariégeoises où le brouillard est quasi omniprésent. D’autant plus que la population d’ours augmente beaucoup. »
Dégoûtée, Samia ? « C’est un sacré bordel, administratif surtout ! L’année dernière, j’avais décidé d’arrêter. Un poste d’animatrice m’aurait permis de gagner autant en ne travaillant que trois jours par semaine. Mais le plaisir de ne pas avoir à prendre la voiture pour aller travailler, d’emmener mon fils avec moi voir les bêtes et leur faire de gros câlins, être dehors, entretenir le paysage l’ont emporté. » Avec son compagnon, elle cherche un associé. Elle n’a pas renoncé. Question de tempérament, sûrement.