Forêts du Grand Est La tempête silencieuse Les forêts du Grand Est ont connu une fin d’année 2019 noire avec un nombre d’accidents mortels en forte hausse. En cause, des arbres fragilisés par le réchauffement climatique et des chutes de branches à répétition. Patrick Bangert, bûcheron à la retraite et élu de la MSA Alsace, tire la sonnette d’alarme.

C’est un homme, marqué par les accidents qui se sont succédé ces derniers mois, qui nous accueille à la gare de Mulhouse en ce matin d’hiver encore une fois trop doux pour être honnête. « De nos jours, un bon bûcheron, c’est simplement quelqu’un qui rentre vivant à la maison », lance Patrick Bangert. Ce jeune retraité a arpenté les forêts alsaciennes, tronçonneuse à la main, pendant trente ans pour le compte de l’Office national des forêts (ONF). L’Alsacien nous a contactés pour alerter de l’aggravation des conditions d’exercice du métier pour les travailleurs de la forêt du Grand Est.

Cet élu de la MSA d’Alsace et de la caisse d’assurance accidents agricoles du Haut-Rhin est aux premières loges pour constater l’ampleur des dégâts. Il est le comptable indigné de ces morts silencieuses. Dans la forêt où l’on cultive les valeurs de virilité, de force et de pudeur, on trouve peu de monde pour admettre quand ça ne va pas. « Quand ils se plaignent, c’est souvent déjà trop tard. Le taux de suicide chez les travailleurs forestiers est à la hauteur de celui des éleveurs laitiers », déplore-t-il. Il tient méthodiquement un décompte glaçant des victimes de la grande muette car la forêt absorbe même les sanglots de celles et ceux qui pleurent leurs absents. La forêt du Grand Est va mal alors les travailleurs qui s’y rendent tous les jours, comme d’autres au bureau, ne vont pas bien non plus.

Tempête silencieuse dans les forêts du Grand Est | le bimsa
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Les forêts du Grand Est ont connu une fin d’année 2019 noire avec un nombre d’accidents mortels en forte hausse. En cause, des arbres fragilisés par le réchauffement climatique et des chutes de branches à répétition. Patrick Bangert, bûcheron à la retraite et élu de la MSA Alsace, tire la sonnette d’alarme.

« En 30 ans, malgré la multiplication des équipements individuels et collectifs de sécurité et le boulot de prévention sur le terrain mené par les équipes de la MSA et des caisses d’assurance-accidents agricoles d’Alsace et de Moselle, j’ai vu les conditions de travail se durcir, poursuit-il. Au cœur des forêts, les symptômes du réchauffement climatique sont visibles partout. Il faut être beaucoup plus vigilant. Tous les collègues vous le diront, nous devons dorénavant peser chaque geste et toujours plus anticiper. Le danger principal vient du haut. Les chutes de branches sont à l’origine de la majorité des accidents récents. »

C’est une période noire pour la profession des travaux forestiers touchée au cœur. La famille de moins en moins grande des bûcherons du Grand Est a payé un lourd tribut avec au moins cinq morts et plusieurs blessés très graves ces derniers mois. Les chiffres de l’accidentologie du secteur en Alsace-Moselle confirment ses propos. Les travailleurs des secteurs sylviculture, exploitation de bois et scieries fixes représentent 2 % des travailleurs (exploitants et/ou salariés) agricoles, mais 11,3 % des accidents du travail mortels (données statistiques de la MSA d’Alsace et des caisses d’assurance-accidents agricoles d’Alsace et de Moselle). « Notre ligne rouge, ce sont les jeunes, tranche-t-il. Quand un gamin de 17 ans perd la vie, comme Romain le 28 juin 2018 dans le Bas-Rhin, on ne peut pas l’accepter. »

11,3 % des accidents du travail mortels
pour 2 % des travailleurs agricoles

Plus grave crise sanitaire depuis 1976

Nous prenons la direction de la forêt de Bettlach dans le Sundgau (sud de l’Alsace) à la rencontre de Richard, Adrien et Patrick. Avec une moyenne d’âge de 56 ans, ils forment une équipe de bûcherons communaux chevronnés. Un statut courant en Alsace et en Moselle qui comptent – à l’inverse du reste du territoire national – environ 80 % de forêts publiques pour 20 % de forêts privées. Ces gaillards solides sont en première ligne face aux dérèglements climatiques. Pourtant, malgré l’expérience, leur travail se complique. Ils ont du mal à reconnaître leurs bois. Ils assistent impuissants comme toute la filière à ce que certains qualifient de plus grave crise sanitaire depuis 1976 dans les forêts de l’Est du pays. Sous les effets conjugués des canicules, d’attaques de ravageurs et de champignons, certaines branches sont devenues aussi cassantes que du verre, rendant le travail des bûcherons beaucoup plus dangereux.

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Les forêts du Grand Est ont connu une fin d’année 2019 noire avec un nombre d’accidents mortels en forte hausse. En cause, des arbres fragilisés par le réchauffement climatique et des chutes de branches à répétition. Patrick Bangert, bûcheron à la retraite et élu de la MSA Alsace, tire la sonnette d’alarme global warming: silent storm in the forests of France lumberjacks in danger

Ils croyaient pourtant connaître la forêt et ses pièges par cœur. Certains d’entre eux ont commencé à tenir une tronçonneuse en préapprentissage dès l’âge de 15 ans. « J’ai 59 ans et 44 ans de cotisations retraites. Ça en fait des arbres abattus », affirme fièrement Adrien, casque réglementaire vissé sur la tête. Presque une forêt entière à lui tout seul. « Pourtant, quinze jours seulement après avoir commencé, j’avais déjà un accident. Résultat : trois mois à la maison. » Ils ont tous les trois dans leur besace des tonnes d’histoires de collègues aux corps fracassés, de petits accidents ou beaucoup plus graves, de nez, de poignets, d’épaules, de côtes cassés, de piqûres d’insectes, de casques fendus en deux et de morts maintes fois frôlées. « Le risque est constant et ça peut tomber partout et tout le temps, assure Richard, le chef d’équipe. Les bûcherons qui arrivent à la retraite en bonne santé sont des exceptions. »

Patrick ajoute : « Normalement, un bon bûcheron fait tomber l’arbre exactement où il veut. Mais aujourd’hui, leurs réactions sont de plus en plus imprévisibles. Les sapins sont souvent secs et l’on voit même des épicéas de 40 mètres creux en leur centre. Sans parler des frênes de plus en plus pourris qui se cassent en deux la tronçonneuse à peine démarrée et là vous avez plutôt intérêt à courir. C’est très stressant. » Cela n’empêche pas les vététistes ou les promeneurs de passage de s’arrêter pour leur dire à quel point leur métier est beau. « Ce qui est vrai mais ils nous envient le fait de travailler dehors au grand air dans un décor grandiose. Jaloux aussi de nos 220 pique-niques par an, en oubliant qu’on respire les gaz d’échappement de la tronçonneuse et qu’on doit aller travailler toute l’année qu’il vente, qu’il pleuve, qu’il neige ou que le thermomètre affiche 40 degrés au-dessus de zéro. »

Il faudrait fermer certaines forêts au grand public mais c’est impossible. »

Mais les bûcherons ne sont pas les seuls exposés aux risques accrus de la forêt. Promeneurs, chasseurs, cueilleurs de champignons, sportifs de tous poils doivent faire preuve de vigilance. « On n’est plus jamais seul en forêt. Avant, nous étions toujours les premiers à laisser nos empreintes dans la neige l’hiver. Désormais, il y a systématiquement des traces de pas ou de roues de vélos. Il y a toujours quelqu’un qui est passé avant nous », assure l’un d’eux.

« Il faudrait fermer certaines forêts au grand public mais c’est impossible, estime Jean-Louis Gervasoni, le secrétaire de la commission santé sécurité et conditions de travail à l’ONF pour la région Lorraine Champagne-Ardenne. Nous assistons aujourd’hui à une tempête silencieuse, elle n’en a pas moins les caractéristiques d’une vraie tempête. Elle fait des dégâts. Les arbres sont en train de sécher et de tomber. Ce phénomène touche même les jeunes plants. Ce qui est trompeur est qu’ils restent en feuilles. Même sur les grands bois, les cinq derniers mètres sont secs, assure l’homme qui travaille à l’ONF depuis 1989. Il y a dorénavant des épisodes de forte chaleur tous les ans. Ce n’est pas la canicule mais plutôt les sécheresses à répétition qui fragilisent les arbres. Avec les années, ils s’épuisent et sont d’autant plus sensibles aux attaques des ravageurs et des champignons. Nous avons assisté à une véritable série noire à la fin de l’année dernière.

« Le métier de bûcheron est un des métiers les plus dangereux au monde. Et nombreux sont ceux qui y laissent leur santé ou même leur vie. Bien sûr des branches, il en tombe tous les jours et le risque zéro n’existe pas, mais la forêt est plus dangereuse qu’avant. Consciente de cela, l’ONF forme son personnel et informe les usagers de la forêt. On a été avant-gardiste à ce sujet. Des panneaux ont aussi été posés pour informer le grand public de l’état sanitaire préoccupant de la forêt et des chutes de branches. Quand on arrive sur un chantier, la première chose qu’on fait est de voir où se trouve le point de rencontre qui sera utilisé en cas de pépin. J’ai eu moi-même malheureusement l’occasion de tester leur efficacité en situation réelle. »

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Les forêts du Grand Est ont connu une fin d’année 2019 noire avec un nombre d’accidents mortels en forte hausse. En cause, des arbres fragilisés par le réchauffement climatique et des chutes de branches à répétition. Patrick Bangert, bûcheron à la retraite et élu de la MSA Alsace, tire la sonnette d’alarme global warming: silent storm in the forests of France lumberjacks in danger
Patrick Bangert continue de militer pour la reconnaissance de la pénibilité du métier. Elle permettrait un départ anticipé à la retraite des travailleurs de la forêt dont l’espérance de vie moyenne est de 62,5 ans.

De son côté, Patrick Bangert, que nous avions rencontré une première fois il y a deux ans, milite pour la création d’une carte professionnelle qui validerait un socle de connaissances des techniques de base et de sécurité pour tous les forestiers, ainsi que pour la généralisation de la radiocommunication dans les casques. Il continue aussi de se battre pour la reconnaissance de la pénibilité du métier. Elle permettrait un départ anticipé à la retraite des travailleurs de la forêt dont l’espérance de vie moyenne est de 62,5 ans. Des propositions portées également par Jacques Cattin, le député du Haut-Rhin, et les trois caisses accidents agricoles d’Alsace-Moselle.

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Les forêts du Grand Est ont connu une fin d’année 2019 noire avec un nombre d’accidents mortels en forte hausse. En cause, des arbres fragilisés par le réchauffement climatique et des chutes de branches à répétition. Patrick Bangert, bûcheron à la retraite et élu de la MSA Alsace, tire la sonnette d’alarme. global warming: silent storm in the forests of France lumberjacks in danger
Fanny Mengus, conseillère en prévention à la caisse d’assurance-accidents agricoles du Haut-Rhin.

« La fragilisation de la forêt rend notre action auprès des travailleurs encore plus importante.

La caisse d’assurance-accidents agricole est présente dans le milieu forestier de différentes manières. Nous avons signé une convention avec l’ONF et l’association des Maires des Communes Forestières d’Alsace (depuis 2006). Dans ce cadre, nous apportons des aides tant techniques que financières avec des réalisations concrètes, comme la participation aux audits de chantiers d’exploitation, ou la mise en place de mesures en vue de la réduction de la pénibilité avec l’aide à l’achat de coins mécaniques, crics d’abattage…, aide à la mise en place de DATI (dispositif d’alarme pour travailleur isolé), et d’alerte météo, participation à la mise à jour des points de rencontres. Par ailleurs, nous apportons une aide à l’acquisition de matériel innovant et adapté aux besoins des bûcherons comme une machine de mise sous tension du bois.

Nous organisons des journées de sensibilisation à l’utilisation de la tronçonneuse à destination des Forestiers privés d’Alsace (professionnels et grand public) mais aussi des salariés et des non-salariés du régime agricole dans le Haut-Rhin et bientôt dans le Bas-Rhin. Nous participons également au plan régional de santé au travail sous-section « forêt » avec la présence d’un médecin du travail et d’un conseiller en prévention. Nous apportons des aides financières incitatives pour l’achat des équipements de protection individuelle (EPI) à destination des entreprises et exploitations du régime agricole. À l’apparition de la Chalarose (maladie causée par un champignon), nous avons participé à la mise en place de formation à l’abattage du frêne. Ces formations consistaient à abattre avec une sangle pour éviter que l’arbre n’éclate, et à utiliser un coin mécanique, pour diminuer les à-coups au niveau du houppier et que les branches fragilisées ne tombent. Elles avaient d’abord été dispensées dans les équipes du Sundgau. »

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Photos : ©Alexandre Roger/le bimsa

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