« Je ne remercierai jamais assez Edgard Pisani d’avoir inventé l’éducation socioculturelle, lance Fabrice Tanguy, qui enseigne cette matière au lycée agricole La Touche à Ploërmel et lui voue une véritable passion. Cette idée d’ouvrir les jeunes ruraux à l’art et la culture en inventant une discipline qui n’existait pas dans l’éducation nationale est vraiment forte. » Cette passion, et l’enthousiasme qui l’accompagne, il les transmet aux élèves de première et terminale bac pro agriculture de son lycée depuis vingt-cinq ans.

À chaque rentrée, il prend son bâton de pèlerin pour leur montrer que l’art n’est pas réservé à une élite. Le message est clair : « Ce n’est pas tant leur apprendre l’histoire de l’art qui m’intéresse que le fait qu’ils s’approprient la lecture de l’image et qu’ils se rendent compte que l’on peut tous comprendre une image d’art si on a une méthode et si on prend le temps. »

Du temps, le directeur du lycée, par bonheur, lui en donne. Pour les élèves de première, la discipline est enseignée deux heures par semaine. Chaque année, Fabrice Tanguy bénéficie d’une semaine entièrement bloquée à l’occasion de laquelle il emmène sa petite troupe à Bruxelles pour un séjour d’ouverture culturelle. Une sélection de musées et d’œuvres est alors au programme pour que les élèves voient comment évolue la peinture du Moyen-Âge à aujourd’hui. Fin du premier acte. Le second débute en terminale.

Le land art et Le Caravage passent

Fabrice Tanguy propose alors à ses lycéens initiés aux images d’art de se les approprier et d’en faire une création. Durant dix ans, le land art a été le terrain d’expression. Ce courant de l’art contemporain utilise le cadre et les matériaux de la nature. « Pour moi, c’était une évidence que des élèves en agriculture l’aimeraient, souligne-t-il. Il y a un vrai rapport avec leur environnement. La nature n’est plus un espace de production mais devient un espace de création. L’adhésion a été totale. »


Et puis, il y a trois ans, fini le land art, on s’attaque au Caravage. La transition pose question : « Pourquoi on arrête ?, me demandaient les élèves. Ils avaient vu toutes les expositions de leurs aînés et étaient décontenancés par ce choix. Le Caravage, ils ne connaissaient pas ».

D’autant plus que, pour ce nouveau projet, les lycéens vont devoir se mettre en scène. Il s’agit en effet de transposer en photos les œuvres du maître. Pour ce faire, le professeur les sensibilise au travail théâtral. « Ils se sont vraiment amusés et ça été plus facile après de faire les photos. J’ai deux jours et demi de sensibilisation. Je les mets beaucoup en mouvement. Ils essaient d’imaginer le tableau, de se l’approprier. Ce n’est pas une démarche intellectuelle où l’on analyse l’œuvre. Le but est d’improviser autour. Ce travail les fait bien avancer. »

Message à caractère esthétique

Cette année, Fabrice Tanguy a décidé de réaliser un travail similaire avec sa classe de terminale à partir de peintures rurales et religieuses du XVe au XIXe siècle. « Le Caravage, ça me semblait artistique au sens presque intellectuel. J’ai eu peur d’avoir mis la barre un peu haut. Finalement, ça les a débridés ; certains ont même choisi des tableaux où ils apparaissaient torse nu ! Ces deux premières promotions ont tellement joué le jeu que, quand j’ai présenté le projet « Art et ruralité » cette année, les élèves y sont entrés sans problème, ils s’attendaient à ce qu’il y ait une suite au Caravage. »

De plus, ce prolongement répond à un désir prégnant chez ces futurs professionnels de l’agriculture : lutter contre l’agribashing. Ils sont vexés et agacés que l’on s’en prenne à leur métier sans vraiment le connaître. Pour défendre un point de vue ou une revendication, certains choisissent de heurter, de sortir des images choc et puis, il y a Fabrice Tanguy. Lui prône la célébration du beau plutôt que la colère : « Je reste convaincu que le beau élève. J’ai voulu leur signifier que l’on pouvait s’exprimer par l’image. Je leur ai proposé de montrer ce qu’ils font de beau et de transposer la gestuelle développée par la peinture dans leur univers. Au final, nous avons réalisé des photos qui esthétisent le milieu agricole et le milieu rural en général et ils sont vraiment contents de la démarche. »

Dans le vif du sujet

En début d’année, les 25 jeunes de terminale choisissent les tableaux qu’ils souhaitent transposer et discutent avec leur prof de l’idée sous-jacente, en quoi le milieu agricole est mis en valeur. En tout, neuf œuvres de Pissarro, Millet, de La Tour ou encore Weyden sont retenues. Comme pour Le Caravage, Fabrice Tanguy les initie à la technique des émotions et à la mise en scène au moyen de jeux théâtraux. Quand il les sent prêts, il fait venir Xavier Courchinoux, photographe-éclairagiste, qui va immortaliser les compositions. Nous sommes au mois d’octobre. La semaine est bloquée pour la création du projet. Professeur, photographe et élèves sont réunis dans l’amphithéâtre du lycée pour une grande répétition générale. Ce premier temps va leur permettre de trouver leurs marques, de mettre en forme ces tableaux-photos avec leur professeur et de s’initier à la prise de vue, à la retouche et à l’éclairage avec le photographe. À l’issue de la semaine, ils ont gagné en expérience, découvert de nouvelles disciplines et réalisé les neuf images préparatoires en studio.

Le troisième acte débute

L’unité de temps ? Cinq soirées entre janvier et février à la nuit tombée. L’unité de lieu ? Les infrastructures de la ferme du lycée qu’ils ont repérées en amont : le hangar à paille ou la stabulation. L’unité d’action ? La prise de vue définitive en costume de travail agricole des neuf tableaux-photos. Chacun connaît son rôle et le joue à la perfection. Pendant que d’aucuns posent devant l’objectif du photographe, d’autres règlent les lumières et ajustent les postures en s’inspirant de l’œuvre initiale. À la fin de la représentation, les élèves sont fiers du produit esthétique et du message qu’ils délivrent à travers ce projet artistique et humain.


« On évoque souvent le cercle vicieux, moi je leur parle de spirale vertueuse. Par le beau, ils peuvent s’élever, élever leur entourage », conclut Fabrice Tanguy. Et il ne fait aucun doute que ce travail saura élever ceux qui le verront, notamment sur son compte Instagram.

Voir aussi

Pour l’amour de l’a(rt)griculture. Témoignage de Charline, Edwin et Alexis, trois élèves de terminale du lycée agricole La Touche à Ploërmel, qui ont participé au projet «Art et ruralité».

Les champs de la création. Sommaire de notre dossier art et ruralité.