Pour prédire l’avenir en soi, certains vont consulter les diseuses de bonne aventure, d’autres s’orientent plutôt vers la MSA. Et ces derniers font le bon choix car le charlatanisme est étranger au régime agricole. À Airvault, dans les Deux-Sèvres, tous les participants de ce programme, depuis son lancement au milieu des années 2000, sont conviés à se mettre à table1. Pas pour avouer leurs méfaits, mais pour reconnaître les bienfaits de la démarche.
Le matin, six ateliers sont répartis dans la salle des fêtes de Soulièvres, pour favoriser l’expression de chacun : « l’arbre à forces », « les freins », « le storytelling », « les mots mêlés », « les piliers » et « le changement en images ». Ils permettent de vérifier comment Avenir en soi les a transformés ou continue de transformer leur vie.
Florilège de scènes cultes
Le scénario est écrit par la MSA Poitou mais tous les dialogues viennent des participants. « Comment étiez-vous quand vous vous êtes lancés dans la démarche ? Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui ? », demande Élisabeth Gendronneau, conseillère sociale de territoire. Elle invite ses interlocuteurs à commencer leur récit par « Il était une fois… »
– Catherine : « Je n’étais pas bien, je venais de perdre mon mari. Aujourd’hui, en retraite depuis un an, ça va. J’ai arrêté d’attendre les autres, j’ai repris confiance en moi. Je me suis inscrite au service de remplacement. Je suis devenue bénévole aux Restos du cœur. »
– Francine : « Mes enfants venaient de quitter le foyer familial. Je ne me retrouvais plus dans mon métier. J’étais paumée. Je suivais trop mon mari dans ses projets. Nous n’avions jamais pris de vacances. Avec cette action, une fenêtre s’est ouverte : j’ai retrouvé du sens, des compétences. Nous sommes partis en vacances. J’ai repris mon nom de jeune fille : j’ai retrouvé mon identité. Chaque jour désormais, j’essaie de me faire plaisir. »
– Philippe : « J’ai quitté le Lot-et-Garonne parce que j’étais en burn-out. J’ai tout perdu : famille, amis, etc. Grâce à ce dispositif, j’ai retrouvé la chaleur humaine. Aujourd’hui, avec une association de Poitiers, je crée des jardins potagers, ça me fait du bien. »
Dans un autre atelier, les anciens stagiaires reviennent sur leurs piliers. « Quelles sont les compétences fortes sur lesquelles vous pouvez compter ? », interroge Laurence Geveaux, animatrice d’Avenir en soi depuis 2005.
– Christian : « Les mêmes qu’en 2018 : avoir le sens des responsabilités, être à l’écoute des autres, tenace et entrepreneur. »
– Maryline : « À l’époque, ma sensibilité, ma créativité et mon empathie pour les autres. Depuis, j’ai pris conscience qu’il était important de m’occuper de moi. J’étais étouffée par les autres. Désormais je mets toutes ces compétences à mon service ! »
– Thérèse : « Cela m’a permis de reprendre les rênes de ma vie même si je n’ai pas réalisé mon souhait : devenir conductrice de car scolaire. Mais après mon opération chirurgicale, ce n’est plus possible : je regarde partir mon mari et le salarié au volant des machines. Avant c’était moi qui conduisais le tracteur : on a pris ma place et c’est dur ! »
Pourquoi faire simple ?
Sur une autre table, Karine Geron, conseillère sociale, a éparpillé des cartes de vœux sur lesquelles sont inscrites des citations. Parmi elles : « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? », devise extraite de la série d’animation télévisée Les Shadoks, ou « Soyez réalistes, demandez l’impossible », slogan de mai 1968. Les participants sont invités à picorer l’une d’entre elles et à écrire au dos : « Pour 2022, je te souhaite de réaliser ton projet… », en précisant les moyens pour y parvenir et les éventuels obstacles. La carte ainsi remplie sera mise sous pli à l’adresse même du participant et postée en janvier. « Mais pourquoi l’écrire à la deuxième personne ? » : « Ça fait du bien d’être bienveillant avec soi et ça permet de faire un pas de côté et de constater que les freins ne sont pas si nombreux », répond Karine.
Les autres ateliers sont déclinés autour de nuages de mots symbolisant Avenir en soi, avec des remarques pleines de lourd vécu — « Tous les matins, à l’heure du moodboard [tableau des humeurs], je disais que j’allais bien mais je chialais quotidiennement », « L’échec fait partie de la vie, nous pouvons apprendre de nos erreurs » — ou autour de l’arbre à forces, où chacun peut accrocher aux branches des cartons de couleur. Enfin, autour des cartes du jeu de société Dixit, où chacun est invité à y lire une projection symbolique de sa personnalité.
Entre la poire et le fromage
Après le déjeuner, pas de somnolence postprandiale dans les rangs. Au centre de la salle, une ligne imaginaire. Puis une assertion lancée à la cantonade : « Avenir en soi est la solution à mes problèmes ? » Ceux qui sont d’accord sont priés de se positionner à droite de cette ligne, les autres, à gauche. Puis chacun doit exposer ses arguments, à tour de rôle. Certains se rangent à l’avis opposé et changent de camp. « Non, les solutions, elles sont en nous : Avenir en soi ne fait que nous donner les outils pour les révéler. » « Dans tout ce que j’ai entrepris par la suite, j’ai retrouvé les préceptes de cette démarche qui permet de plonger en soi et de toucher l’authentique. » On se fera une idée (ou pas).
Deuxième assertion : « Tout le monde doit participer à Avenir en soi au moins une fois dans sa vie. » À votre avis ?
La journée s’achève par un menu conversation. Les groupes de convives doivent choisir un hors-d’œuvre, un plat principal, un fromage et un dessert : « Quelles sont les principales forces qui nous mettent en mouvement ? », « Est-on toujours fort tout seul ? », « À quoi nous sert la culpabilité ? », « Le changement : dans quel sens ça marche ? » sont quelques-uns des plats que les commensaux peuvent se mettre sous la dent. Le fruit des réflexions étant partagé collégialement, réunis tous en rond au centre de la salle, entre la poire et le fromage, comme on dit. « Nous avons eu envie de savoir ce que les participants étaient devenus et quel impact Avenir en soi avait eu sur leur parcours. Ne freinez pas vos idées folles », dit Dominique Sinner. « On a eu une idée folle ! », conclut Sarah Ravaud, référente précarité.