Ours du Tibet, buffles nains, rhinocéros blancs, pélicans à dos rosé, guépards, lycaons, ânes de Somalie, vipères du Gabon de l’Ouest… La réserve africaine de Sigean, ce sont 140 espèces différentes, 3,35 tonnes de nourriture distribuées chaque jour et 330 000 visiteurs par an en moyenne.
Un métier atypique
En coulisse, 94 salariés permanents et jusqu’à 70 saisonniers en été veillent sur les dix secteurs du parc. Des professionnels soumis à des risques spécifiques liés aux animaux. « Nous travaillons avec du vivant et sa part d’imprévisibilité, d’urgences et de situations potentiellement dangereuses, précise Laurent Fontaines, chef animalier. Nous avons donc besoin d’être autonomes car, pour de nombreuses tâches, nous ne pouvons pas faire appel à un intervenant extérieur. »
« C’est un métier de passionnés, atypique, ce qui amène parfois les salariés à occulter leur santé, souligne Dr Marie Doat, médecin du travail à la MSA Grand Sud, qui suit l’équipe du zoo. Il faut en permanence composer entre la nécessité de préserver le bien-être des humains tout en tenant compte de celui de l’animal. » Depuis une dizaine d’années, accompagnée par l’équipe de prévention des risques professionnels de la MSA, la direction a démarré une réflexion pour améliorer les conditions de travail des salariés du parc, qui fête ses 50 ans en 2024.
« Le quotidien est conditionné par plusieurs profils de professionnels qui cohabitent, ainsi que par des infrastructures qui changent au gré de l’évolution des troupeaux, ajoute Marie-Laure Pereire, directrice technique. Certaines de nos installations sont anciennes et plus tout à fait adaptées aux nouvelles pratiques. Il y a aussi une dimension émotionnelle importante, car les soigneurs ont toujours à cœur de faire de leur mieux pour leurs bêtes. » Rénovation des bâtiments, prévention des chutes de hauteur, cages de contention… Après plusieurs interventions ponctuelles, face à l’augmentation des accidents, des symptômes physiques tels que des troubles musculosquelettiques et des relations tendues, le conseiller en prévention de la MSA, Jean-Pierre Filippi, propose d’engager un travail de fond afin d’apporter des réponses durables.
Développer une nouvelle façon de penser le travail
Au cœur de la démarche : l’implication des salariés et l’intervention de Damien Cromer, ergonome. Ce dernier rencontre les équipes en février 2020. Ralenti par l’arrivée du Covid, il démarre son diagnostic au début de l’été dans deux secteurs du zoo. Parallèlement, une convention d’objectifs en matière de sécurité au travail est lancée au niveau national entre la MSA et les parcs animaliers adhérents. Fin 2020, la réserve a ainsi pu signer un contrat de prévention de deux ans avec la MSA Grand Sud.
Le contrat de prévention MSA
Cet appui technique et financier est réservé aux entreprises agricoles de moins de 200 salariés afin de les accompagner dans leur démarche de construction de prévention. L’équipe de prévention des risques professionnels suit la mise en place méthodologique du projet en intégrant au mieux le travail réel, la préservation de la santé et la sécurité au travail.
► Pour en savoir plus : ssa.msa.fr
« Le but est de s’approprier de nouveaux moyens de parler de l’activité et ainsi d’agir dessus au quotidien », affirme Damien Cromer. Objectif : œuvrer en amont du problème technique et développer une nouvelle façon de penser le travail. « L’idée est de se confronter aux réalités du terrain et de cheminer pas à pas vers la construction d’une architecture organisationnelle qui intègre la prévention », confirme Jean-Pierre Filippi.
La démarche ergonomique s’effectue en trois phases : une co-analyse fine des activités des services concernés, avec des situations filmées, l’intégration de la hiérarchie dans les réflexions puis l’extension à tous les secteurs. Se voir à l’écran en train de travailler est un exercice compliqué. Ces observations entraînent de nombreux étonnements, notamment sur les différentes façons de faire de chacun. « Étant pourtant souvent sur le terrain, j’étais à mille lieues d’imaginer certaines des problématiques présentes, déplore Marie-Laure Pereire. Les analyses questionnaient plus largement notre organisation globale. »
La parole aux salariés
D’abord dubitatifs, les salariés se prennent au jeu. « L’objectif est d’améliorer notre quotidien, et nous sommes les mieux placés pour le faire, témoigne Julien Justafré, soigneur animalier à la réserve depuis 2010. Damien a passé du temps avec nous et a échangé sur nos difficultés. L’une d’entre elles concernait les mangeoires des girafes : nous avons constaté un important gaspillage de luzerne, qui tombait au sol, triée par les ruminants. Cela impliquait plus de nettoyage des box. Après en avoir discuté, nous avons eu l’idée de tester des mangeoires fermées sur le dessus. »
Le collectif devient ainsi une ressource sociale pour la santé, l’efficacité de l’organisation, la performance ainsi que le bien-être animal. ”
Le résultat est immédiat et généralisé : moins de gaspillage, moins de nettoyage, de pénibilité et un meilleur comportement alimentaire pour les animaux, qui prennent plus de temps à manger. Un exemple parmi d’autres qui, avant, auraient pu rester sans réponse et entraînaient des frustrations. Désormais, les échanges sont réguliers, les problématiques plus claires, formalisées et présentées avec des axes de solutions. « Le processus peut paraître un peu long, mais prendre le temps de la réflexion à chaque niveau, discuter ensemble des réponses possibles, des contraintes et des conséquences permet une résolution plus durable, plus construite », continue Marie-Laure Pereire.
« On sous-estime l’importance de donner la parole aux salariés, constate Antoine Joris, directeur zoologique. Le simple fait que les soigneurs et l’équipe de direction discutent régulièrement aide à harmoniser les bonnes pratiques et instaure une traçabilité. » Depuis, plusieurs actions ont été mises en place : reconstruction de la maison des chèvres à hauteur d’hommes, nouvelle trappe à vérin pour les lions, répondeur automatique pour filtrer les appels des visiteurs…
Un kiné contre les troubles musculosquelettiques
Un kinésithérapeute a également suivi pendant six mois un groupe de 12 volontaires afin de diminuer les troubles musculosquelettiques, qui représentent 85 % des arrêts de travail. Après un bilan ostéoarticulaire, un programme d’exercices pensés en fonction du métier et des spécificités de chaque participant a été mis en place. Chaque mois, un bilan a permis de suivre leur évolution et d’ajuster les exercices si besoin. Résultats : les gênes ont diminué, voire disparu, chez les salariés suivis.
« Le collectif devient ainsi une ressource sociale pour la santé, l’efficacité de l’organisation, la performance ainsi que le bien-être animal, notamment en dégageant du temps pour les soigneurs qu’ils peuvent consacrer à leurs animaux », conclut l’ergonome, qui a continué son accompagnement auprès du parc en 2023, en dehors du contrat de prévention de la MSA.
Prochain défi : pérenniser la démarche après son départ pour permettre à l’équipe de continuer à exercer le plus longtemps possible ce métier passion auprès des gnous, wallabies, zèbres, varans du Nil, crocodiles nains et autres geckos à queue feuillue et vipères de brousse écailleuse.