Alexandre est un quadra au bord de la crise de nerfs. « J’ai l’impression d’être au bout de ma vie. J’en suis arrivé à un point où je n’ai plus de vie sociale, plus d’amis, plus de loisirs et, si ça continue, je sens que je vais aussi perdre mon boulot. » La première saynète de la conférence théâtralisée organisée en ligne le 18 janvier met d’entrée de jeu les pieds dans le plat. L’événement a pour titre Je l’aide mais j’ai besoin d’air et s’adresse d’abord aux proches aidants « au bout de leur vie » qui, comme Alexandre, ont besoin de répit mais pas seulement…

Organisée par la MSA Picardie, Bulle d’Air Somme, l’association française des aidants, la plateforme Aliis et l’établissement public intercommunal du sud-ouest de la Somme (Epissos), elle a permis à 262 personnes de prendre un peu de recul avec leur quotidien et de commencer à comprendre qu’elles ne sont pas seules à affronter ce chemin de vie compliqué : des solutions permettant de se faire accompagner existent. L’occasion est belle de les découvrir.

Un format innovant

Le format innovant de ce rendez-vous permet de profiter du meilleur des deux mondes : l’expression théâtrale, pour poser une problématique de façon concrète et vivante, et la conférence pour aller au fond des choses. Ce soir, c’est Marion Le Cam, la directrice de l’offre de services à la caisse centrale de la MSA, en charge de l’accompagnement et du développement du réseau Bulle d’air national (www.repit-bulledair.fr), qui enfile le costume de maîtresse de cérémonie. Il s’agit d’un service de répit à domicile porté par la MSA, destiné aux aidants pour leur permettre de souffler un peu, tout en maintenant la personne aidée dans le cadre sécurisant de son domicile.

aidants au bord de la crise de nerf

« Le but de cette conférence théâtralisée n’est pas de faire une dissertation mais d’arriver à s’interroger personnellement sur sa situation », insiste Marion Le Cam.
Le jeu impeccable de Philippe Van Den Bergh et Charlotte Noiry, de la compagnie Un rôle à jouer, criant de vérité, illustre parfaitement la charge psychologique qui pèse sur les épaules des millions d’aidants.

Selon les estimations de Bulle d’air, huit à onze millions de personnes aident, à titre non professionnel, une personne dépendante de leur entourage dans les activités de la vie quotidienne. 90 % d’entre elles sont des membres de la famille et quatre millions consacrent entre 4 et 5 heures de leur journée à prendre soin de leur proche en mettant, trop souvent, leur vie professionnelle et personnelle entre parenthèses.

Un tsunami d’émotions

Si les amis d’Alexandre s’inquiètent de ne plus le voir à leurs soirées bowling du vendredi soir, si ses collègues couvrent ses absences répétées, si son couple bat de l’aile, c’est qu’il pense à tort pouvoir assumer seul la dépendance de sa mère. Quand le médecin lui annonce : « Après sa chute, votre maman ne peut pas retourner vivre seule chez elle. En raison de sa perte d’autonomie physique et de ses troubles cognitifs, elle n’en a plus les capacités », le monde s’écroule pour Alexandre. Toute sa vie s’en trouve bouleversée. C’est un tsunami d’émotions contradictoires qui l’assiègent, un mélange de culpabilité, d’envie de fuir mais aussi de volonté de bien faire et surtout d’amour. C’est le début d’un interminable saut dans l’inconnu avec des difficultés à reconnaître ses limites.

Accepter cette charge transcende les âges, les sexes et les classes sociales. Être aidant est « un métier très technique, de très haute responsabilité parce que la vie d’une personne fragile que vous aimez est entre vos mains », explique Claude Chirac le 12 janvier dernier dans la matinale de France Inter. Ce matin-là, elle témoigne de sa situation d’aidante auprès de son père Jacques Chirac –mort en 2019 – et de sa mère Bernadette.

« Le témoignage de Madame Chirac est parfaitement en phase avec la soirée que nous proposons, et je vous invite à aller l’écouter en replay sur le site France Inter, tout comme notre conférence théâtralisée disponible gratuitement en réécoute pendant trois mois », souligne Marion Le Cam.

« Avec l’allongement de la durée de la vie, la prévalence des maladies chroniques mais aussi les progrès de la médecine, on sera tous un jour ou l’autre proche aidant, annonce Lucie Boulier de l’association française des aidants. Cette relation a un impact sur tous les aspects de la vie personnelle, professionnelle et sociale. Lorsque les proches sont réduits à ce rôle, on remarque que certains vont développer un sentiment d’isolement et d’épuisement qui va avoir des conséquences directes sur leur santé qu’elles soient physiques, psychologiques ou sociales. »

« Il est important d’accepter de ne pas tout maîtriser, mais d’assumer aussi ses limites et de se déculpabiliser, explique Charlotte Tradivon, psychologue. L’accompagnement d’un proche dans la maladie ou dans le handicap est quelque chose de douloureux, mais la plupart des aidants y trouvent également du positif comme par exemple le fait de passer plus de temps avec la personne malade. Des moments précieux qui permettent d’oublier un petit peu les effets négatifs de la maladie. Ce sont dans tous les cas des situations complexes et singulières où se mêlent différents sentiments dans la même journée. On ne choisit pas d’être aidant, on l’est malgré soi. »

Les signaux d’alerte

Il faut que l’entourage soit attentif aux signaux d’alerte. « Le proche du proche aidant a aussi un rôle à jouer », explique Marion Le Cam. « La tristesse et le repli sur soi, poursuit Charlotte Tradivon, tout comme les troubles du sommeil, la perte de poids, l’anxiété et le stress ou encore la diminution des activités sociales sont des critères d’alerte importants. L’aidant est pris dans une temporalité qu’il ne maîtrise plus. Il doit gérer le quotidien de l’aidé en plus du sien, rendez-vous médicaux, intervenants à domicile, tâches ménagères, la cuisine, l’administratif… C’est pourquoi il a souvent tendance à s’oublier. Mais des outils existent pour faire le point, comme l’échelle de l’aidant, qui permet de mesurer son niveau d’épuisement. »

Fondée sur le modèle du « violentomètre », outil de prévention utilisé pour sensibiliser sur les violences conjugales, l’échelle aide à situer le niveau d’urgence de sa situation. Qu’on s’occupe d’un proche âgé, d’un enfant handicapé ou d’un ami, l’idée est de ne pas attendre d’être dans le rouge pour agir, pour son bien-être et celui de l’aidé. « Une fois qu’on a identifié ses difficultés, et qu’on sait qu’il faudrait mettre en place une aide, tout reste à faire et, en même temps, on a fait une très grande partie du chemin », souligne Marion Le Cam.

De nombreuses solutions de répit se développent

Accueil de jour, hébergement temporaire, relayage à domicile ou séjours de vacances adaptés : de nombreuses solutions de répit se développent partout en France. « Le service de relayage à domicile Bulle d’air peut être une solution, explique Léa Schietequatte, responsable de secteur au sein de l’association dans la Somme. Il est inspiré du baluchonnage québécois. Ce qu’on entend par là, c’est une notion de souplesse et de service à la carte. C’est l’aidant qui va choisir le jour et la durée de son répit, cela peut être des missions l’après-midi, de quelques heures à plusieurs jours consécutifs. »

Les relayeurs sont le plus souvent des professionnels du médico-social tels que des auxiliaires de vie, des aides-soignantes ou encore des techniciens d’intervention sociale. Le service Bulle d’air s’occupe de mobiliser toutes les aides pour réduire la facture le plus possible, notamment auprès de la caisse de retraite principale et complémentaire, avec un reste à charge de 6,30€ de l’heure en moyenne.

De quoi peut-être permettre à Alexandre de libérer du temps de cerveau disponible pour retrouver ses amis au bowling une fois par semaine en toute confiance et sans culpabiliser ?

Photo d’ouverture : ©FluxFactory_GettyImages/CCMSA Image