Samedi 8 juin 2018, à Saint-Marcellin, dans l’Isère, sous un soleil de plomb, tous les regards sont tournés vers le terrain du gymnase de la Saulaie, où une légion de sportifs en fauteuil dispute un match très serré. Dans l’enceinte sportive, les sourires et les cris d’encouragement montent jusqu’au ciel. Toute la vallée semble vibrer au rythme des bras qui s’agitent sur des fauteuils roulants de “compète” adaptés à la vitesse. Le ballon qu’on tente de dérober à un adversaire coriace passe de main en main. Les joueurs ne se font pas de cadeaux.
Ils manient leurs engins façon course-poursuite de cinéma avec dérapages contrôlés et crissements de pneus. Pas question de laisser filer le point de la victoire. Sur le goudron brûlant du terrain, impossible de distinguer le valide du non-valide et inversement. À la vue des spectateurs survoltés, pas de trace de handicap, simplement des corps en mouvement, de la sueur et des éclats de rire. Le hand-fauteuil est aussi intense que sa version sans roue. L’envie de gagner, la même. L’énergie grisante créée par la victoire, identique. Le goût de la défaite, non moins amer.
Sur le bord du terrain, Lou, Anaëlle, Lison, Mathys, Ewan, Jules et Loup-Tchak, élèves en 3e au collège Raymond-Guelen de Pont-en- Royans, village situé à vingt minutes de route de là, veillent au grain. Attentifs à chaque détail pour que les olympiades handisport qu’ils ont mis sur pied se déroulent sans fausse note. Pour les jeunes, la tension ne baissera que le soir venu, à la fin du concert de rap clôturant l’événement, un spectacle bilingue, voix et langue des signes, qui se terminera tard dans la nuit dans une ambiance empreinte d’émotion et de grâce.
« Au fil du temps, on s’est pris au jeu. On ne pensait pas que ça allait prendre une telle ampleur », assurent-ils en cœur. « À certains moments, on se voyait jusqu’à trois fois par semaine pour préparer l’événement. On a même convaincu David Smetanine, médaillé d’or aux Jeux paralympiques de Pékin et ambassadeur du sport pour le département de l’Isère, d’y participer », annoncent-ils fièrement.
Ces jeunes Isérois sont du genre ambitieux. Alors, quand, il y a quelques mois, « Les Sept », comme ils se surnomment, décident de mettre sur pieds des olympiades handisport, ils ne se laissent pas troubler quand, dans la cour de récréation, certains camarades les regardent d’un air mi-amusé mi-navré : « Quelle drôle d’idée de s’intéresser à des handicapés… »
À leur actif, une pluie de récompenses. Le projet a notamment obtenu le 1er prix dans la catégorie des 13-17 ans de la 17e édition de l’appel à projets jeunes (APJ) organisé par la MSA et le prix spécial Solidel, réseau pour les travailleurs handicapés du secteur agricole et des territoires ruraux (MSA Alpes du Nord). La cérémonie nationale de remise des prix a eu lieu le 3 mars au Salon de l’agriculture à Paris. Ils sont repartis avec un joli chèque qui a contribué à faire de cette journée une réussite.
Cet après-midi, la découverte du sport adapté est au programme : hand-bike, hand-fauteuil, foot béquille, cécifoot, sarbacane, aïkido, tir à la carabine sonore, torball, relais à l’aveugle, vélo couché ou encore biathlon sont quelques-uns des sports que le public — venu nombreux — peut découvrir en version adaptée. À chaque fois, les clubs sportifs de la région ont amené leur matériel et leurs champions, comme Camille Lozé, vice-présidente de Vercors handisport et vice-championne de France de ski de fond et de biathlon, qui est là pour initier les visiteurs à ses sports de prédilection. « Je ne me suis jamais mis de limite, explique-telle tout sourire. Je n’ai jamais vécu coupée du monde. Je ne me suis jamais dit que la vie est pourrie. Bien au contraire. On peut vivre à la montagne en étant en situation de handicap, avoir un travail et y pratiquer du sport de haut niveau. J’en suis la preuve. »
Le foot béquille ou football pour amputés est reconnu par la Fifa. Le torball respecte les règles établies par l’association des sports pour non-voyants (International Blind Sport Association).
Un peu plus loin, Christophe, du club d’aïkido de Saint-Marcellin, initie une jeune autiste à son art martial. « Nous avons de plus en plus de demandes de personnes en situation de handicap car nous sommes une discipline qui intègre. Une voie qui permet à chacun, handicapé ou non, de se connaître et de travailler sur lui-même », explique-t-il.
« Notre objectif est d’accompagner les ados dans leurs projets collectifs, pour qu’ils deviennent pleinement acteurs de leur vie, et de les encourager dans leur apprentissage de l’autonomie et de la citoyenneté », assure Thomas Grindatto, le responsable du secteur adolescents à Saint-Marcellin Vercors Isère communauté. Mission accomplie ! L’animateur est mis à disposition de l’association Espace anim’ de Pont-en-Royans où il a œuvré au côté des adolescents tout au long de l’année pour faire de ce projet une réussite.
« Pour que tout ce que les jeunes ont construit reste sur le territoire, une malle pédagogique a été conçue. Elle servira aux différents centres de loisirs du secteur pour préparer des activités handisport avec les enfants qu’ils encadrent. »
Dans cette malle aux trésors version sport adapté, on trouve tout l’équipement pour l’activité torball, des ballons sonores mais aussi des sarbacanes, et tout ce qu’il faut pour organiser des matchs de foot à l’aveugle. Mais le vrai trésor reste bien, ici, l’énergie des organisateurs et la volonté de tous les acteurs, associatifs, élus et personnes en situation de handicap ou non. Toute une vallée unie pour faire de cette journée un succès. Il y aura une édition 2019 des olympiades handisport.
L’ensemble de la journée était traduite en langue des signes.
Thomas Grindatto, responsable du secteur adolescents à Saint-Marcellin Vercors Isère communauté.
« Les sept » ont commencé à écrire, avec l’aide de leur animateur, une histoire appelée à durer et qui continuera à s’écrire sans eux. La prochaine édition sera plus aquatique avec un médaillé d’or de natation pour parrain. Cela tombe presque sous le sens.
Photos : © Alexandre Roger/le Bimsa.
David Smetanine, parole de champion
« Je tiens à féliciter ces jeunes et leur encadrement. Ils ont fait un travail remarquable. Je crois savoir que c’est après avoir côtoyé d’autres jeunes en situation de handicap qu’ils ont imaginé cette belle journée. C’est quand on parle aux gens qu’on teste les choses, qu’on se met en situation, qu’on peut les comprendre. C’est pourquoi je dis à tous : venez pratiquer du foot béquille, du hand-fauteuil, du tir à la carabine à l’aveugle pour comprendre et essayer de viser une cible les yeux bandés. En acceptant aujourd’hui que les personnes qui vivent avec un handicap toute l’année soient un peu avantagées… pour une fois. Du basket au biathlon, il y en a des dizaines qui proposent des sports adaptés dans nos vallées. Cette initiative permet de renforcer l’image du handisport mais aussi celui du handicap et de la mixité sociale, le mieux vivre ensemble, entre valides et non valides.
Il y a encore du chemin à faire pour changer les mentalités, changer les regards. On veut intégrer mais on ne sait pas comment faire par manque de connaissance du handicap. Pour ces jeunes, il fait déjà partie de leur paysage, de leur quotidien car l’un des professeurs de leur collège est en fauteuil. Mais ce n’est pas le cas pour tout le monde. Il faut s’intéresser aux compétences que les personnes ont acquises et ne pas s’arrêter à la simple différence. Chez les anglo-saxons, on intègre dès le début et on considère le handicap comme quelque chose qui fait partie de la normalité. En France, nous sommes considérés comme une minorité et pas comme une partie de l’ensemble. Cela fait toute la différence. Les résultats sont là : 147 médailles aux derniers jeux paralympiques d’été pour la Grande-Bretagne contre 28 seulement pour la France.
En ce qui concerne le handisport, je ne vois pas de différences fondamentales avec le sport tout court.De la même façon, on ne peut pas croire en ses rêves si l’on ne se donne pas les moyens de les atteindre. Il n’y a rien qui tombe du ciel. Handicap ou non, une médaille d’or, c’est entre vingt et trente heures d’entraînement par semaine. Dans mon cas, il faut accepter de se lever à 5 h 30 du matin pour aller nager. Accepter de se faire mal, de construire toute sa vie autour de ce projet. Bien sûr, il y a des adaptations, c’est le principe du handisport, mais quand on parle sport de haut niveau, il faut se comporter comme un sportif de haut niveau. Pour moi, le fauteuil reste à côté du bassin. Je ne nage pas avec. »
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