Installés en cercles, des ados font de grands gestes et s’expriment dans un langage mystérieux. D’autres, à la manière de robots têtus, posent des questions en rafale à leurs camarades qui ont un peu de mal à suivre la cadence. Un rapide coup d’oeil au carton d’invitation qui émane de la MSA Lorraine : nous sommes bien à la bonne adresse. Il annonce un atelier-théâtre organisé à la MFR de Saulxures-sur-Moselotte, dans les Vosges, ce 12 juin. Il est organisé par l’Asept de Lorraine, en collaboration avec la compagnie de théâtre « Tilt » de Nancy, dans le cadre des actions ado mieux-être. C’est mi-intrigués, mi-amusés, que nous nous installons dans la salle polyvalente de la MFR où se déroule la séance, pour prendre part à ce joyeux capharnaüm.
« Un accoucheur d’émotions »
À l’entrée, nous rencontrons l’organisatrice de ces actions, encore un peu étonnée par ce qu’elle a entendu quelques minutes auparavant. « Je viens de croiser un élève qui est content de redoubler pour pouvoir refaire l’atelier l’année prochaine », s’étonne Émilie Solary, chargée de développement à l’Asept de Lorraine, pas déconcertée un seul instant par un autre élève qui mime un avion au décollage juste derrière elle. Sans attendre qu’il atterrisse, nous lui demandons ce qui plaît tant à ces élèves qui vont jusqu’à réclamer du rab d’impro ? Elle nous donne un début de réponse : « Ces ateliers les sortent du contexte scolaire et les ouvrent vers de nouveaux horizons. Ils adorent ça. »
Elle nous invite surtout à assister à une séance pour connaître la raison de leur réceptivité. Nous nous empressons d’accepter et nous découvrons vite que le secret de la formule tient en la personnalité de l’animateur des ateliers et à sa maîtrise des techniques du théâtre pédagogique.
Julien Jouannic, comédien, improvisateur et formateur, membre de la compagnie « Tilt », est le metteur en scène de ces jeunes talents. Il agit dans ces ateliers comme « un accoucheur d’émotions » pour des adolescents qui sont à un âge où l’on n’ose pas forcément encore devenir soi-même. Au programme : deux heures de lâcher prise, de prise de parole et de défoulement. « À travers l’expression verbale et corporelle, les adolescents travaillent non seulement la cohésion du groupe mais également la confiance en eux. Ils prennent conscience de leur propre valeur. »
« Les piliers de l’impro sont l’écoute et l’acceptation, explique Julien Jouannic. Mais pour en arriver là, cela nécessite d’avoir confiance en soi et dans les autres, savoir écouter les propositions de ses camarades et savoir s’écouter soi-même. Dans le secteur de l’aide à la personne, carrière à laquelle certains jeunes réunis ici se destinent, l’écoute est primordiale. On ne travaille pas les compétences professionnelles – leurs professeurs s’en chargent – mais le savoir-être, tient-il à préciser. Ça pousse des gens qui ne prennent pas beaucoup de place à s’affirmer, à enfin occuper l’espace. »
« Du mal à prendre la parole »
Prendre la parole en public, même devant des camarades de classe qu’on côtoie toute l’année, ne va pas forcément de soi. « On avait du mal au début, ose Andréa, 17 ans. Se lever et commencer à parler devant les autres n’est pas très facile. » La jeune fille se destine à une carrière de puéricultrice. Lou-Anne, qui veut devenir éducatrice spécialisée, avait « du mal à prendre la parole ». Aujourd’hui conquises, elles re-signeraient volontiers pour l’année prochaine. « Organiser les séances, en début d’année scolaire pour rompre la glace, serait parfait. »
Un peu plus tôt dans l’année, Julien Jouannic a initié d’autres jeunes à l’improvisation à la MFR de Saint-Dié-des-Vosges. Il avait choisi le théâtre-forum comme outil pour amener les jeunes à débattre de thèmes sensibles chez les ados, comme les moqueries, les rumeurs, les discriminations, le rapport à l’alcool, les réseaux sociaux, le harcèlement et le respect de soi.
« Partez de vos défauts et de vos qualités »
« On remarque qu’il y a plus de problèmes de timidité chez les filles, poursuit Julien Jouannic. Mais elles évoluent vite au fil des séances. Pour les garçons, à l’inverse, il est plus difficile d’accepter de se mettre en retrait. » Les ateliers servent aussi à cela, remettre un peu d’équilibre dans les rapports hommes/femmes.
Ici, dans cette section de seconde bac pro service aux personnes et aux territoires, la question ne se pose pas. Un seul garçon, Nino, 17 ans, participe à la séance d’impro. « Ce n’est pas si facile que ça, mais on se prend facilement au jeu », lance-t-il. Il se destine à « un métier au contact des enfants, sûrement dans une crèche ». Mélodie et Lila, 15 ans toutes les deux, qui ne le quittent pas d’une semelle, sont unanimes pour dire qu’elles aimeraient continuer l’expérience l’année prochaine.
Les exercices se succèdent. Les jeunes jouent le jeu du lâcher prise. « Dans vos improvisations, partez de vos défauts et de vos qualités, et jouez avec », conseille le pro. Pas de texte, pas de décor, pas de costume, pas d’accessoires. Les jeunes sont à la fois scénaristes, metteurs en scène et interprètes.
Une histoire qui tient la route
« On a travaillé l’écoute. On va maintenant travailler l’acceptation. » L’exercice, sorte de cadavre exquis à la sauce improvisation théâtrale, prend parfois des tons surréalistes : Andréa et Mélanie sont allées faire leurs courses à dos de poney ; Nino a eu un accident de moto ; ils finissent tous la tête en bas à la fête foraine de Remiremont. Le jeu théâtral consiste à poursuivre l’histoire commencée par son voisin. « Interdiction de dire non aux propositions des autres et toujours être à leur écoute », sont les consignes de Julien Jouannic. Pour le reste, les jeunes doivent laisser aller leur créativité. « Tout le monde avec sa petite proposition a réussi à faire une histoire qui tient la route », constate Julien Jouannic. Il interpelle une jeune fille. « En début d’exercice, tu as dit que tu n’avais pas d’idées et tu as prouvé juste après que tu en avais des tas. C’est ça dont tu dois te souvenir. »