L’équivalent de six mois de pluie
Sous un grand soleil en ce 15 janvier, tout semble normal sur les routes du beau paysage bocager du Boulonnais, dans le Pas‑de‑Calais. Les prairies et champs s’étendent à perte de vue… un instant de quiétude que les habitants aimeraient bien retrouver. Car en y regardant de plus près, des stigmates apparaissent : un tuyau de pompage sur un trottoir, du bitume éclaté par endroits, des champs encore gorgés d’eau, une rivière qui n’existait pas avant… Et ce n’est que la pointe de l’iceberg.
Les inondations en chiffres :
• 1er risque naturel en France
• 2 millions de personnes sont concernées dans le bassin Artois‑Picardie
• 348 communes du Nord et du Pas‑de‑Calais reconnues en état de catastrophe naturelle pour l’épisode de novembre et 169 pour celui de janvier
• 267 millimètres de cumul moyen de pluie depuis le 18 octobre (contre 89 habituellement) ; jusqu’à 443 mm dans certaines zones. Entre octobre et novembre, il est tombé l’équivalent de six mois de précipitations.
Si le drame humain a été évité, l’eau étant montée en plein jour, la rapidité a surpris tout le monde. Certains éleveurs n’ont pas pu réagir assez vite pour sauver toutes leurs bêtes ; comme cet agriculteur installé à Frencq, un peu plus au sud, qui a perdu 12 veaux. À 62 ans, il aurait dû partir à la retraite deux semaines plus tard.
Des conséquences à long terme sur la santé des animaux
Et pour les animaux sauvés, la partie n’est pas gagnée pour autant. « On a dû euthanasier sept jeunes bovins suite à des hypothermies, un autre est encore mort ce matin, soupire Stéphane Leduc, agriculteur à Vieil‑Moutier. Même si l’eau se retire, il y a des conséquences sur le long terme : les jeunes perdent en croissance et attrapent des maladies. Juste après les inondations, on a dû sortir des bêtes à l’aide de sangles et d’un chariot télescopique tellement elles s’enfonçaient dans le fumier. On les sortait tous les jours, on raclait la boue, puis on utilisait une quinzaine de ballots pour rempailler, au lieu de deux habituellement. On a de la chance d’avoir de l’aide de nos deux garçons, de deux apprentis et des voisins ! Et alors que nous avions tout nettoyé et remblayé, rebelote au nouvel an… »
Derrière l’étable de Delphine et Stéphane Leduc, c’est littéralement une rivière qui s’est créée. Les sources présentes sous leur terrain ont explosé jusque dans le bâtiment, se déversant continuellement depuis, les obligeant à creuser un fossé pour dévier le débit vers les pâtures. Par chance, le domicile du couple a été épargné. « Le problème, c’est que les sources sont difficiles à maîtriser et peuvent couler pendant des mois… »
C’est fatiguant physiquement et moralement, d’autant plus quand on voit nos bêtes dans l’eau. »
Parmi leurs soutiens, ils aussi ont pu compter sur Sylvain Fourrier, délégué MSA Nord – Pas-de-Calais, salarié inséminateur sur le territoire, qui les connaît bien. « Nous sommes les techniciens les plus présents dans les exploitations, ça crée des liens. Quand j’ai appris qu’ils étaient impactés, je les ai tout de suite contactés et j’ai signalé leur situation à la MSA, qui les a rappelés dès le lendemain. C’est important d’être dans la prévention car beaucoup ne demandent pas les aides auxquelles ils ont droit. C’est la mentalité rurale. »
Une vague de 1,50 mètre
Un état d’esprit que connaît bien Maxime Delianne, maire de Maresville et éleveur de brebis. Dans cette petite commune de 104 habitants du territoire du Montreuillois, une vingtaine de maisons ont été touchées, soit la moitié du village, et plusieurs sont encore inhabitables. En novembre, c’est une vague d’1,50 mètre que l’édile a vu déferler en quelques minutes dans sa cour et sa bergerie. « Jamais on n’aurait pensé que ça monterait aussi haut. J’ai réussi à sortir mes brebis à temps pour qu’elles remontent sur les pâturages mais j’en ai perdu trois à cause de l’hypothermie. Il y avait de la vase partout. Entre le nettoyage et mon rôle de maire j’ai été très sollicité, j’ai peu dormi… On a l’impression que ça ne va jamais s’arrêter, c’est fatiguant physiquement et moralement, d’autant plus quand on voit nos bêtes dans l’eau. »
Travaillant seul sur son exploitation, des voisins, des anciens collègues des Jeunes agriculteurs et des pompiers sont venus lui prêter main-forte. « Il y a eu une belle solidarité. Ça met du baume au cœur de voir qu’on n’est pas tout seul. Le gros problème pour moi, c’est que les premières inondations sont arrivées juste avant la période des agnelages – les derniers petits sont nés au nouvel an. Impossible donc de bouger mes brebis. Certaines ont avorté à cause du stress et j’ai perdu plusieurs agneaux tombés malades : nombril infecté, boiteries voire tétanos, ce que je n’avais jamais eu auparavant. Et je ne peux pas évaluer pour l’instant l’impact qu’auront ces conditions de vie sur leur développement. »
Détecter les situations de fragilité
Côté MSA, c’est Marie‑Yvonne Verdure, agricultrice à la retraite à Tortefontaine, qui a signalé la situation de Maxime Delianne, parmi d’autres. « J’ai visité plusieurs maisons inondées à Neuville, il faut le voir pour le croire. Psychologiquement c’est dur, notamment pour ceux qui ont déjà des difficultés ; j’ai eu plusieurs appels de personnes inquiètes et fait remonter certains cas à la cellule pluridisciplinaire de prévention des situations de fragilité de la caisse. Moi‑même ça m’a pesé. À un moment je suis partie chez ma fille pour souffler et voir mes petits‑enfants, car on absorbe beaucoup. Penser à tous ces pauvres gens m’empêchait de dormir. »
Les sinistrés attendent désormais des actions concrètes pour éviter de nouvelles catastrophes et tentent tant bien que mal d’avancer, dans l’angoisse de toute annonce de pluie.
Les élus MSA en action
Maisons, élevages mais aussi les cultures détruites, telles que les betteraves, endives, choux‑fleurs, ou encore chicorée… Des milliers d’adhérents sont touchés. Afin de faire remonter un maximum de noms de personnes sinistrées pour les informer directement des aides mises en place, la MSA Nord – Pas-de-Calais a notamment sollicité ses délégués sur le terrain.
Réunions, appels vers les mairies touchées, témoignages d’agriculteurs, distribution de matériel de première nécessité, mise en place de permanences délocalisées sans rendez‑vous… Un travail d’équipe qui a permis de faciliter les démarches. Des élues du Nord sont même venues dans le Pas‑de‑Calais pour donner un coup de main et aider et à faire le tour des mairies.
« C’est là qu’on prend l’ampleur de notre rôle, et le poids des responsabilités, assure Sylvain Fourrier, élu salarié sur le canton de Lumbres. Le président et le directeur général de la MSA ont également été très réactifs. » Une solidarité générale rassemble tous les partenaires du territoire (Caisse d’allocations familiales, syndicats agricoles, assureurs comme Groupama, chambre d’agriculture, groupements de défense sanitaire, Urssaf, banquiers…).
Afin de continuer le repérage et le soutien psychologique, l’équipe de la cellule de prévention des situations de fragilité a organisé le 25 janvier une soirée théâtre Le stress est dans le pré, devant 115 personnes, à Montreuil‑sur‑Mer.
► Toutes les mesures de soutien sur nord‑pasdecalais.msa.fr