Salade, tomates, concombres, courgettes, aubergines, basilic… 50 types de légumes, de fruits et de plantes différents et autant de sous-variétés. Rien de surprenant jusque-là pour un maraîcher. Mais les huit hectares bio du jardin de Cocagne de Blois, sur les bords de la Loire, ne sont pourtant pas comme les autres. On y fait aussi germer de l’espoir. Comme les 110 autres structures du réseau Cocagne, il accompagne des personnes éloignées de l’emploi. Créé en 1993, ce jardin est en effet un chantier d’insertion(1), doublé d’une entreprise d’insertion créée en 2005, tous deux gérés par l’association Bio-Solidaire.
Un enjeu important pour ce département qui détient le record du nombre de travailleurs détachés en France, c’est-à-dire de salariés en provenance d’un autre pays de l’Union européenne et, dans certains cas, à la limite de la légalité. Cette pratique censée être ponctuelle s’avère en effet souvent utilisée toute l’année, ce qui instaure une insécurité juridique pour les entreprises agricoles qui l’utilisent. D’autant plus que les travailleurs ne sont que très peu à adhérer à la sécurité sociale de leur pays. La Direccte(2) a déjà engagé plusieurs procédures pénales et travaille avec la profession pour les accompagner et trouver des solutions. À cela s’additionnent les difficultés du travail de saisonnier, précaire et souvent pénible. On constate notamment une déperdition de 50 % des saisonniers d’une saison à l’autre dans le Loir-et-Cher, qui compte pourtant 19 % de chômeurs.
Un accompagnement quotidien
Le jardin de Cocagne accueille des profils très divers, âgés de 18 à 62 ans. La plupart connaissent un chômage de longue durée et sont bénéficiaires du RSA. Cela représente 48 salariés orientés via Pôle emploi, le service social du conseil départemental ou la mission locale pour les jeunes de moins de 26 ans, pour un parcours moyen de 16 mois. « Nous voyons une grande diversité de situations, dont des réfugiés mais aussi des personnes diplômées, d’anciens chefs d’entreprise, explique Valérie Hanon, directrice de Bio-Solidaire. La plupart n’ont aucune expérience agricole, voire aucune formation tout court, et ils ne continueront pas forcément dans l’agriculture. Mais l’activité maraîchère permet de leur redonner une qualification, une expérience, et de les remettre dans le bain. Notre taux de sortie positive est proche de 45 %, ce que nous espérons améliorer. »
Car outre une activité, il s’agit aussi et avant tout d’un accompagnement socioprofessionnel individualisé dans le but d’un retour à l’emploi, la construction d’un projet professionnel voire de formation. Le tout pour une durée de 26 heures par semaine et maximum 24 mois. L’équipe de 16 permanents assure un suivi au plus près de leurs besoins. Après la signature d’un contrat d’engagement réciproque, plusieurs entretiens sont effectués tout au long du parcours avec les conseillères d’insertion professionnelle. « Ce travail est important, continue Valérie Hanon, car le paradoxe de notre situation c’est qu’une personne qui n’a pas travaillé depuis longtemps peut avoir l’impression qu’ici elle sort de la difficulté. Mais bien qu’on l’aide à stabiliser sa situation, on doit déjà la préparer à sortir. »
Vente en circuit court
Cocagne, c’est aussi une philosophie de production agricole, en paniers bio et en circuit court. Membre du groupement Val Bio Centre, qui réunit 50 producteurs de la région, le jardin de Blois a développé avec lui une activité de vente de paniers bio par abonnement dont sont membres aujourd’hui 600 familles. Ce sont les salariés de l’entreprise d’insertion qui préparent et livrent les paniers sur 96 sites du territoire.
180 000 paniers conditionnés en 2018, pour 700 tonnes de légumes.
Pour Vincent Touzeau, président de Val Bio Centre, « Ce modèle nous aide à garder la main sur la commercialisation de nos produits, de diversifier notre activité et d’avoir de la visibilité sur la vente et la production de l’année à venir, dans l’objectif d’une juste rémunération de tous les acteurs. Certains producteurs ont eu des réticences au début sur le monde de l’insertion. Ils avaient cette image d‘un salariat à moindre coût, concurrentiel… mais notre conseil d’administration étant composé de producteurs et de directeurs d’ateliers et chantiers d’insertion (ACI), cela nous a permis de nous comprendre et d’avancer. D’autant plus facilement que la démarche bio est aussi éthique qu’environnementale. »
En moyenne, un légume est manipulé 5,6 fois. C’est le résultat d’une étude sur les TMS réalisée dans le cadre du contrat de prévention signé avec la MSA Berry-Touraine. – © Marie Molinario/le Bimsa. Les salariés de l’entreprise d’insertion conditionnent plus de 4 500 paniers hebdomadaires, en flux tendu. – © Réseau de Cocagne/Jardin de Blois 2018. Les livraisons sont effectuées sur 96 sites du territoire. Un point de dépôt est également ouvert à Paris depuis 2001. – © Réseau de Cocagne/Jardin de Blois 2018. À l’entrée du jardin, le pôle de vente en directe emploie quatre personnes en insertion en quasi autonomie. Avec le marché bio, le jardin compte 220 clients par semaine en moyenne. – © Marie Molinario/le Bimsa.
Des projets plein le panier
De son coté, Julien Adda, directeur du réseau Cocagne assure : « On aimerait essaimer cette expérience car cela pourrait être le modèle français de développement des circuits courts. Pour le déployer, il faut des conditions particulières d’animation du territoire, la sociologie du monde agricole n’étant pas partout la même. » Une alliance historique et peu commune avec le monde de l’insertion qui, forte de son expérience, permet à Bio-Solidaire de voir loin et de développer des projets innovants. Elle se lance aujourd’hui dans la création d’un éco-pôle alimentaire et d’une unité mobile. Dès septembre, quatre personnes intégreront cette dernière. Son objectif consiste à mettre à disposition des exploitations agricoles une équipe de salariés, préalablement formés et encadrés, sous forme de prestations de service, pour des activités de maraîchage et de viticulture. Les déplacements seront pris en charge par l’entreprise d’insertion, la mobilité étant un frein majeur pour ces personnes qui, souvent, n’ont pas le permis. « Sur le sud département, ces deux secteurs sont continue toute l’année. L’enjeu est donc de pouvoir rapidement proposer des CDI et, par la même occasion, changer la vision du métier », espère Valérie Hanon.
Une vision qui risque d’évoluer positivement avec le grand projet d’éco-pôle alimentaire. Après l’acquisition de huit nouveaux hectares de terres, l’association ambitionne de créer une véritable zone d’aménagement agricole où ceux qui le souhaitent pourront se former, partager leurs connaissances, mûrir un projet ou simplement s’installer dans un cadre coopératif et bienveillant. À côté des terres maraîchères, un grand bâtiment réaménagé abritera un tiers-lieu agricole, le « 145 », avec des bureaux, des espaces de travail partagés, des salles de formation et même une table de Cocagne qui ferait de la petite restauration avec des personnes en insertion. « L’idée est de mutualiser les outils, les fonctions support et d’avoir la possibilité de trouver un accompagnement, d’échanger et de monter en compétences, continue la directrice. Tout cela va permettre de créer une dynamique économique. » Parallèlement, l’équipe développera ses ateliers bien-être alimentaire, qu’elle donne déjà en interne à ses salariés. Après le remembrement et la conversion des terres en bio, le démarrage des installations est prévu en 2021 pour une mise en production en 2022.
Bio-Solidaire se positionne aujourd’hui plus que jamais en acteur de son territoire et élargit son champ de vision. L’association imagine même un futur où des pôles porteurs comme celui-ci pourraient couvrir le territoire et créer de l’emploi pour former une sorte d’archipel nourricier. On peut se le dire, Valérie Hanon et son équipe sont prêts à changer le monde.
(1) Les ateliers et chantiers d’insertion sont des structures d’insertion par l’activité économique (SIAE) conventionnées par l’État.
(2) Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.
L’accompagnement est la clé de la réussite.
Aujourd’hui, beaucoup de personnes en précarité ont de la bonne volonté, des capacités, mais des limites, des problèmes périphériques, un manque de mobilité et d’autonomie. Avec un accompagnement adéquat, ils sont capables de faire beaucoup de choses. On investit et on professionnalise notre dispositif pour pouvoir mettre nos salariés en condition, comme avec notre conditionneuse automatique par exemple. C’est un investissement peu rentable pour notre production mais cela leur permet d’avoir une expérience sur une machine et de se familiariser avec.
On raisonne en montée en compétences, pour qu’ils puissent réussir en entreprise une fois sortis. On le voit avec l’expérimentation territoires zéro chômeur de longue durée : cela coûte moins cher de mettre des personnes en activité que de les laisser dans des difficultés sociales et dans l’isolement. Nous-mêmes, à notre niveau, nous faisons du chiffre d’affaires (2,7 millions d’euros en 2018) avec des personnes qui n’avaient aucune expérience maraîchère auparavant. C’est leur force de travail qui fait le résultat, et l’accompagnement est la clé de la réussite.
Le jardin de Blois est particulier pour nous, car il cumule deux structures.
La réforme du secteur de l’insertion par l’activité économique, engagée par le gouvernement depuis décembre 2018, développe notamment cet enjeu : comment articuler la dimension sociale des ateliers et chantiers d’insertion (ACI) avec celle plus entrepreneuriale des entreprises d’insertion. Ici, on trouve un exemple parlant d’un mariage intelligent et subtil entre une production maraîchère, en chantier d’insertion, et une offre de services équitable et solidaire avec les organisations de producteurs de toute la région. Cette articulation, encore peu développée, est très intéressante et annonce ce que pourraient être demain les ACI en France.
Parallèlement, la création de l’éco-pôle préfigure encore autre chose : est-ce que demain, vu les tensions du marché de l’emploi dans le monde agricole, nous ne pourrions pas, de manière plus fréquente, structurer des compétences et métiers pour le marché ? Une étude du ministère de l’Agriculture, parue en juin, montre qu’il y a une demande de spécialisation des métiers dans un secteur agricole qui évolue très vite et développe de nouvelles compétences. Je pense que nous sommes à même de l’accompagner.
Le Réseau Cocagne, partenaire de la MSA
Créé en 1999, le réseau Cocagne compte aujourd’hui 110 structures d’insertion par des activités économiques environnementales (maraîchage bio, espaces verts, filières alimentaires bio) en France, répartis dans 65 départements. L’association soutient et promeut les jardins de Cocagne, développe des expérimentations et professionnaliser les équipes d’encadrement.
En chiffres :
– 1 990 administrateurs et bénévoles.
– 5 490 emplois dont 4 600 salariés en parcours d’insertion et 890 salariés permanents.
– 470 hectares cultivés en Agriculture Biologique.
– 750 000 paniers dont 26 400 paniers solidaires.
Depuis 2001, la MSA est partenaire du réseau Cocagne et l’accompagne, via une convention nationale, dans l’essaimage du concept et de ses expérimentations, comme l’opération « 30 000 paniers solidaires », un abonnement à faible coût pour les familles défavorisées, lancée en 2010 et déployée aujourd’hui sur tout le territoire national. Leur collaboration et les évaluations annuelles effectués dans le réseau permet de travailler sur des problématiques comme la santé, la mobilité ou les freins sociaux afin d’affiner les connaissances sur les besoins spécifiques des salariés en insertion. Des connaissances indispensables pour assurer un meilleur accompagnement de ces personnes qui ont très souvent des problèmes de santé, liés à l’exclusion et une précarité qui s’aggrave. Les jardins reçoivent par ailleurs de nouveaux profils face à qui ils sont plus démunis, comme des personnes avec des problèmes psychiques ou d’addiction.
Plus d’informations sur www.reseaucocagne.asso.fr