« J’aime mon métier. » Il ne faut pas s’attendre à d’autres épanchements de la part de l’adjudant-chef Jérémy Racine qui parle de son travail de gendarme comme d’une pas­sion. Ce militaire originaire de Saint-Quentin ne compte pas ses heures pour mener à bien ses missions de maintien de l’ordre et de la sécurité publique dans la parcelle du terri­toire qui lui a été confiée, située sur le canton de La Capelle, une commune rurale d’environ 2 000 habitants. L’homme d’un naturel réservé devient intarissable lorsqu’il s’agit d’évoquer sa brigade et son territoire. « Ici, rappelle-t-il, nous sommes en unité territoriale. Premier maillon de la chaîne, nous sommes vraiment ancrés sur le secteur. »

L’adjudant-chef Jérémy Racine (à gauche) dirige la brigade de La Capelle
appartenant à un groupement de trois brigades, piloté par le major Copain.

Maillage territorial

La brigade de La Capelle qu’il commande comprend cinq sous-officiers et deux adjoints volontaires. Jérémy Racine a lui-même démarré sa carrière en intégrant en 2004 le corps des volontaires de la gendarmerie de l’Oise avant de monter en grade. Les promotions ont été suivies de mobi­lité. « Je suis arrivé sous-officier en Thiérache. Ma première unité a été Sains-Richaumont qui fait partie de la communauté de brigades regroupant La Capelle et Le Nouvion-en-Thiérache. J’ai exercé mes fonctions dans ces trois unités. Chacune couvre plusieurs communes ou bourgs. »

C’est sur ce prin­cipe de poupées russes que se déploie le maillage territorial de la gendarmerie nationale, avec à chaque fois d’autres brigades regroupées – ou pas – en communautés, placées sous la responsabilité d’un sous-officier ou d’un officier.

La bonne connaissance de cette partie de l’Aisne aide l’adjudant-chef dans ses fonctions. « Nos missions reposent sur de la polyvalence complète. Elles sont diverses. Elles vont de l’accueil du public à de la prévention. Dans nos patrouilles sur roues, nous allons au contact des gens. Nous faisons de la prévention. Quand il faut intervenir, nous intervenons. La mission de renseignement est importante pour nous parce qu’il faut le recueillir, le cen­traliser et l’analyser. C’est une grande partie de notre activité. Grâce à cette collecte nous parvenons à anticiper certaines situations. En même temps, le contact instaure un climat de confiance. Les personnes que nous allons rencontrer nous identifient. Nous les identifions aussi. L’échange en est ensuite facilité. »

Prendre le pouls dans d’un territoire

Savoir prendre le pouls d’un territoire, c’est peut-être d’abord ça l’expertise du gendarme. En parvenant à en appré­hender les battements, il se donne le pouvoir d’agir et inter­venir à temps, en amont même de l’accomplissement de tout délit ou violence. « Quotidiennement, nous allons à la rencontre de toute la popu­lation, des chefs d’entreprise, des élus, des artisans, des exploi­tants agricoles. Sur un contrôle routier par exemple, lorsque nous nouons le contact, nous pouvons être amenés à recueillir du renseignement. Nous n’exerçons pas uniquement une mission de répression. »

Pourquoi gendarme et pas policier ? La réponse de l’adjoint-chef Racine fuse, spontanée : « C’était un choix. Le statut militaire me convenait. Et j’ai grandi dans le milieu rural, je voyais souvent les gendarmes. C’est tout simplement que je me suis identifié à eux. Je me suis engagé et je n’ai pas regretté. Avec les policiers, nous avons les mêmes missions, en droits, en devoirs et en prérogatives. »

Témoignage d’Alain Compère, agriculteur et maire d’Esquéhéries

Je suis agriculteur sur une petite exploitation de 47 hectares, éleveur principalement. Et je suis maire depuis 2008 d’Esquéhéries, une commune de 900 habitants. J’ai pris la relève derrière mon père. En matière d’insécurité, en tant qu’agriculteur, je constate qu’il y a beaucoup plus de vols que par les temps passés. Aujourd’hui les fermes sont visitées. Ce qui intéresse surtout, c’est le carburant. Les voleurs prennent jusqu’à 1 000 litres de gazole non-routier (GNR) d’un coup. Mon frère, également exploitant, a été touché par le phénomène 3 ou 4 fois. À chaque fois le carburant, le petit matériel, notamment les tronçonneuses à bois et les disqueuses, ont été visés. Ces outils se revendent bien dans les brocantes ou sur Internet. J’ai des moutons qui disparaissent de temps en temps dans mes pâtures. Pour moi, ce sont de petits délits, on n’y fait plus attention. En tant que maire, j’observe que les relations sont devenues plus violentes après le Covid. Les mentalités ont changé. Les gens se sont repliés sur eux-mêmes. Le relationnel n’est plus le même. Ceux qui venaient nous voir en permanence avant 2020, amis ou pas, nous serraient la main en entrant dans le bureau. Maintenant plus personne ne le fait. Ils restent sur le pas de la porte à distance et ils lancent des insultes. Je les laisse s’exprimer. On sent que c’est plus méchant qu’avant. Autrefois lorsque les gendarmes me sollicitaient à propos d’un conflit de voisinage, je réussissais à faire faire un pas à chacun. Là ce n’est plus le cas. Les personnes restent campées sur leur position. On a l’impression de ne plus servir à rien.

Un statut militaire

Le statut militaire l’oblige à vivre en caserne, tout près de la gendarmerie. « On a un logement concédé par nécessité absolue de service, c’est-à-dire qu’on doit y vivre quand on est en service d’astreinte ou de permanence. Donc la famille s’y installe. Avec les mutations, elle suit aussi. » Le sous-officier n’y voit aucun inconvénient. Loin de là. La contrainte fait par­tie de l’engagement. Elle contribue à la cohésion de l’équipe. Automatiquement, elle influe sur le travail. « En vivant dans un casernement, on a un esprit de corps. Il est plus fort que celui de nos camarades de la police qui travaillent dans un commissariat mais vivent à l’extérieur. »

Ce collectif est précieux dans la lutte contre la délin­quance et face aux aléas qui rendent le service de tout gendarme imprévisible. « Les journées ne sont jamais les mêmes. On ne sait jamais ce qui va se passer. On ne travaille pas par habitude parce que l’activité est diverse et évolue par rapport aux événements du jour. Lorsqu’on commence le ser­vice, on ne sait jamais à quelque heure on finit. » Il n’y a donc pas de place ni pour l’ennui ni pour la routine.

Le sens de l’engagement

L’abnégation. Le sens du devoir. L’engagement. Tout cela transpire dans le témoignage de l’adjudant Racine. Souffre-t-il d’un manque d’effectif ? « Toutes nos missions sont remplies. Les sollicitations trouvent réponse. Les liens avec les populations, les responsables politiques et le parquet sont étroits », lâche-t-il, très sobrement. Tout juste concède-t-il que cela ne leur ferait pas de mal à son équipe et lui de bénéficier de renforts.

Cette question-là se joue au niveau de la compagnie qui rassemble les trois communautés de brigades de Vervins. C’est le capitaine Stéphane Dublanche qui la dirige. La brigade de l’adjudant-chef Racine en fait par­tie. C’est le commandant qui communique la création d’une nouvelle brigade à Aubenton dans le cadre de l’annonce nationale de créations de nouvelles unités sur l’ensemble du territoire national.

« Elle fonctionnera avec celle d’Hirson jusque-là toute seule, précise-t-il. C’est positif pour nous. Cela équivaut à un accroissement de personnels. Nous allons avoir droit à une brigade fixe. La compagnie va être abondée de dix personnels. Actuellement j’ai un effectif de 96 militaires. Je vais monter à 106. C’est forcément béné­fique car la mission qui nous est donnée, c’est d’être sur le ter­rain, au contact de la population. Plus on est là plus, les gens sont rassurés, plus ils peuvent communiquer avec nous. Plus on peut échanger, plus on peut prévenir, détecter le délinquant et l’intercepter en amont. »

Témoignage de Stéphane Dublanche, capitaine,
commandant de compagnie de gendarmerie de Vervins

« La brigade de gendarmerie, selon sa taille, sert à assurer la sécurité d’un territoire, comprenant 5, 10, 15, 20 communes. Le but est d’y insérer toute la sécurité publique générale, c’est-à-dire à la fois le contrôle des flux et des voies de communication, la lutte contre la délinquance, la prévention et le contact qui est l’ADN de la gendarmerie puisque nous avons plus huit siècles d’histoire. Nos missions régaliennes ont vu le jour il y a 800 ans. Au niveau des brigades rurales, la particularité est d’agir sur un territoire assez vaste, avec une population moins dense que sur les zones urbaines mais avec beaucoup de contacts. Il faut établir du lien, être présent. La population souhaite nous voir régulièrement. Donc pour cela, le commandant de brigade va déterminer son service la veille au soir et orienter ses patrouilles vers des missions de prévention avec du recueil du renseignement et du contact. Mais celles-ci sont soumises à l’évolution de la journée puisque l’événement crée l’intervention et l’intervention crée la mission. C’est ce qui fait la richesse du métier de gendarme. On n’a pas de journées qui se ressemblent. On aura beau avoir le même service, on ne peut pas savoir ce que va donner la journée. Au-delà de ça, on peut ajouter l’impact du climat, avec des conséquences comme des inondations. Si les tempêtes sont moins violentes que sur la Côte, on a à gérer des chutes d’arbres et à intervenir le matin. Dès 7 heures, on s’assure que les voies de communication sont libres pour permettre aux gens d’aller tranquillement travailler. Le but, clairement, c’est de permettre aux citoyens de vivre dans la sérénité et en sécurité. »

Photo d’ouverture et articles © Fatima Souab/Le Bimsa