« Le paysage n’est pas seulement un décor, mais un lieu d’histoires et de vie. La thématique est commune à tous les habitants, quel que soit l’usage qu’ils aient des territoires ruraux, et une porte d’entrée pour toucher à de nombreux sujets agricoles actuels », lance Laure Alart, chargée de mission culture pour le pays du Centre Ouest Bretagne (COB), territoire qui réunit des communes de trois départements : Côtes-d’Armor, Finistère et Morbihan.

Échanges sur le paysage par le geste artistique

Le projet «Visages d’un pays» que le pays COB conduit en partenariat avec Beaubourg veut permettre au monde agricole, très représenté sur cette zone géographique mais pas nécessairement proche de l’art contemporain, de s’exprimer puis de faire naître des échanges sur l’évolution du paysage, qu’il soit naturel ou façonné par les activités humaines… « Pressions de la société pour fabriquer des produits sains, à un coût abordable et sans dénaturer le paysage dans lequel on va en vacances, ces injonctions modernes sont difficilement tenables pour des agriculteurs, eux aussi attachés à leur pays et à ses espaces, à bien manger et faire les choses correctement. Ils expriment leur mal-être face à une mise en cause de leurs pratiques. C’est ce dialogue que le projet nous permet d’aborder par le biais du geste artistique, de l’œuvre et de l’intime. »

Le musée d’art moderne et contemporain au rayonnement international est entré en contact avec le pays COB via l’association nationale Nouvelles ruralités, dédiée à la défense des territoires ruraux et à la promotion de leur attractivité.

Une résidence d’artistes en milieu rural

« En 2018, un premier projet «En mouvement» («War lusk» en breton) a proposé pendant trois mois dans différents lieux du territoire, une exposition-atelier, des installations, une websérie, des ateliers pour les scolaires…, retrace Martin Bourguignat, responsable du pôle hors-les-murs et partenariats de l’établissement parisien. Nous avons ensuite coconstruit cette résidence participative avec la volonté d’associer un public plutôt jeune, de nous intéresser au monde agricole et d’impliquer des personnes pas forcément habituées à fréquenter des musées. Tout en essayant d’imaginer des prolongements au-delà de cette création, avec les acteurs associatifs et culturels locaux. Le Centre a l’habitude de proposer des parcours d’éducation culturelle, des ateliers en itinérance en France et à l’international mais, dans ce format, avec une résidence d’artistes en milieu rural, c’est une première. »

Trois artistes proposés par le Centre Pompidou ont intégré l’aventure : Sylvain Gouraud (photographe), Thierry Micouin (danseur), Pauline Boyer (plasticienne sonore). « Le parti pris était d’amener un œil neuf, un regard extérieur et de donner à voir différemment ce que le monde rural a à dire. Cette résidence est fondée sur une réciprocité, un échange, un pas vers l’autre. Pour les artistes aussi, la confrontation est riche d’enseignements », souligne Laure Alart. Ils ont travaillé avec des agriculteurs, pour l’essentiel membres de la jeune association Racines du Blavet, animée par la chambre d’agriculture, et des élèves du lycée agricole Saint-Yves de Gourin accompagnés dans ce challenge par Clotilde Chaudieu, leur professeure d’éducation socioculturelle [voir son témoignage ici].

Au départ, le projet prévoyait également l’implication de salariés d’une entreprise agroalimentaire mais des contraintes d’hygiène et sanitaires fortes, notamment pour l’accueil des ateliers artistiques dans les locaux, ont conduit à l’abandon de ce volet.

Prises de vues, de sons et ateliers chorégraphiques

Dans le cadre de la résidence participative organisée par le Centre Pompidou et le pays du Centre Ouest Bretagne, des ateliers chorégraphiques animés par le danseur Thierry Micouin invitent agriculteurs et jeunes du lycée Saint-Yves de Gourin (Morbihan) invitent à la création autour d'images du photographe Sylvain Gouraud. © Centre Pompidou/Astrid de Cazalet
Dans le cadre de la résidence participative, des ateliers chorégraphiques animés par le danseur Thierry Micouin invitent agriculteurs et jeunes du lycée Saint-Yves de Gourin (Morbihan) à la création autour d’images du photographe Sylvain Gouraud sur le thème du paysage. © Centre Pompidou/Astrid de Cazalet

« Sylvain Gouraud, le photographe, a passé du temps sur les exploitations avec les agriculteurs, échangeant sur leurs pratiques, qu’elles soient conventionnelles ou biologiques, sur l’évolution du métier, la mutation du paysage… et a réalisé des photos. Imprimées sur grands formats, précise Martin Bourguignat, elles servent de support aux ateliers chorégraphiques.
Adultes et adolescents travaillent avec le chorégraphe Thierry Micouin sur la question du geste en manipulant ces images pour donner lieu à une restitution qui aura lieu le 4 juin. »
Elle sera intégrée au programme du premier festival Nomadanse proposé par l’association Danse à tous étages, partenaire du projet. « La bande-son est élaborée par Pauline Boyer à partir de témoignages enregistrés par les agriculteurs et de captations sonores réalisées sur les exploitations et dans l’atelier de mécanique du lycée, pour pouvoir immerger les spectateurs dans cet univers, faisant ainsi appel à plusieurs sens », complète Laure Alart.

Un projet de film

Les différentes étapes de cette coopération artistique sont également documentées par une équipe de tournage du Centre Pompidou. Objectif : la production d’un film destiné à partager le processus de création et à mettre en lumière les grandes questions liées au paysage et à l’activité agricole nées de cette réflexion.

L’ambition est de le faire circuler dans tous les lieux qui en feront la demande – bibliothèque, lieu d’art, établissement scolaire, association… – à l’échelle du pays COB et au-delà (voir la page De nombreux lieux de diffusion et de création pour connaître les structures artistiques et culturelles du pays COB qui propagent l’art contemporain). « Nous espérons pouvoir accompagner des prolongements du projet avec pourquoi pas des ateliers chorégraphiques, sonores, photo, des soirées débat, des rencontres avec les agriculteurs. La fin de cette résidence sera le début d’autre chose », espère Laure Alart.

Des contacts ont déjà été d’ailleurs pris avec des acteurs artistiques et culturels locaux, et le seront prochainement avec des structures agricoles, pour envisager la circulation du film à partir de la prochaine rentrée scolaire. Présents depuis longtemps sur le territoire, ces promoteurs de la culture fondent « un écosystème que le partenariat avec le Centre Pompidou permet d’activer différemment. La circulation de matériaux, le prêt d’oeuvres, l’animation d’ateliers pourront prendre la couleur de leur programmation, de leurs espaces, de leurs envies ».

« Nous réfléchissons à des suites avec des associations comme La Fourmi-e qui, dans le cadre de son initiative “Champ d’expression”, travaille avec des agriculteurs accueillant des artistes contemporains sur leurs exploitations, ajoute Martin Bourguignat. Notre volonté est de mettre en place des projets pensés avec les acteurs locaux, et non des propositions qu’on viendrait plaquer hors-sol. Il s’agit en effet de tisser des liens avec eux, en mettant à disposition nos productions itinérantes s’ils en font la demande afin de mettre en valeur des lieux, des associations, des projets culturels. »

Photo d’ouverture : © TM Project