Pour Béatrice Goron, responsable du service de soins infirmiers de la MSA du Limousin, « derrière les problèmes de santé, il y a toujours des situations humaines et sociales ». Cette phrase, à elle seule, résume à la fois la genèse et la philosophie de ce service spécifique à la Corrèze.
Tout est né de la volonté d’élus de la MSA de faciliter l’accès aux soins de la population agricole et plus largement rurale dans un département qui manquait cruellement d’infirmières. La création du service et du premier centre en 1960 répond à une vision médicale mais aussi sociale. Ce lien constitue ainsi l’ADN du service, ce que perpétue à lui insuffler Béatrice Goron.
Entre 1960 et 1970, le service s’est développé afin de répondre aux besoins de la population. Jusqu’à douze centres infirmiers ont ainsi fonctionné jusqu’en 1990, le dernier ayant été créé en 1983. Le département s’est par la suite développé en termes de soins et certains centres ont dû fermer mais en « douceur », précise Béatrice Goron, puisque les infirmières qui y œuvraient sont passés en libéral. Depuis 2011, le service uniquement d’infirmiers à domicile compte sept centres qui se trouvent à Argentat, Beynat, Bugeat, Juillac, Meymac, Meyssac et Seilhac, des villages ruraux de Corrèze. Trois d’entre eux font partie d’une maison de santé pluridisciplinaire et un quatrième est en cours d’élaboration.
Un service unique
Hormis la réduction du nombre de centres sur le territoire, le changement majeur qu’a connu le service de soins infirmiers, autrefois au sein de l’action sociale, est qu’il constitue désormais une activité autofinancée (AAF).
Quand, en 2014, Béatrice Goron prend en main le service, elle se retrouve à gérer « une véritable petite entreprise qui doit être à l’équilibre chaque année ». Les recettes provenant de l’activité générée par les soins (caisses de sécurité sociale, mutuelles, patients) et de la rémunération versée par l’assurance maladie dans le cadre d’un accord doivent couvrir les charges : les salaires, les charges d’exploitation classiques, les fournitures diverses et le matériel médical.
Mais elle est convaincue que « le centre de santé est un bon modèle grâce à sa gestion au plus près et à son accessibilité permanente. On a notre place. La part de soin que l’on prend est nécessaire. Le service fait partie du paysage et il est là pour pallier un manque sur le territoire. »
Selon les centres, le nombre des infirmiers en CDI oscille entre quatre et onze, soit une quarantaine dont quatre coordinatrices. L’effectif n’est jamais fixe et fonctionne à flux tendu afin de maintenir l’équilibre financier. Si le service compte un certain nombre d’infirmiers en poste depuis plusieurs années, Béatrice Goron est confrontée à un turn-over relativement important. Cela a généré, par le passé, un véritable casse-tête notamment pour le recrutement, mais les choses tendent à changer.
Depuis quelques temps il lui est plus facile de recruter. Les conditions de travail de plus en plus difficiles en hôpital incitent bon nombre d’infirmiers à choisir cette voie. Le phénomène est sensible notamment chez les jeunes. La rotation de l’emploi engendrée par ces « jeunes qui viennent, se forment (parce que la MSA forme bien) et repartent » pourrait créer quelques difficultés, par rapport aux patients chroniques en l’occurrence, mais l’organisation même du service y remédie. Mieux, les équipes, qui ont pris ce paramètre en compte, en ont fait une force. Le positif qu’en tire Béatrice Goron est qu’il « permet de revoir les pratiques. Les infirmières ainsi adaptées au changement disposent d’une grande réactivité ».
La transmission se fait dans les deux sens : « On les double lors des tournées et on leur montre comment ça se passe. De leur côté, ils nous permettent de remettre à jour nos connaissances, explique Corinne Chalaud, infirmière dans le service depuis 1989. Ils nous transmettent de nouvelles pratiques, nous tiennent à jour sur les nouveaux médicaments. Cet échange est très gratifiant. » Enfant du cru, elle connaît certains patients depuis son enfance : « On suit les familles. On rentre dans la vie intime des gens, on voit des choses. Chaque maison, chaque personne a ses habitudes. On est donc capable d’expliquer certains comportements parce qu’on les comprend. » Elle qui était la plus jeune du service à son arrivée prend désormais autant de plaisir à venir travailler qu’à passer cette expérience de trente-et-un ans aux nouveaux.
Au service de la transmission
La transmission est au cœur du dispositif et de l’organisation de ce service d’infirmiers dispensant des soins aux patients qui les contactent quel que soit leur régime d’appartenance. Elle ponctue la journée des infirmiers qui débute entre 6h30 et 7h. Les tournées sont préparées la veille en fonction des flux, et pour permettre le suivi des patients chroniques par le même infirmier. Après leur tournée, vers 11h30 et 12h30, les infirmiers déposent les prélèvements sanguins avant de se retrouver pour faire le suivi des soins et transmettre aux collègues les informations importantes permettant le bon déroulement de la journée suivante. L’après-midi, l’un d’entre eux assure la permanence d’une heure. C’est à ce moment que se font les liens avec les laboratoires, les médecins, les structures hospitalières, les services d’hospitalisation à domicile (HAD), les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) et les réseaux. Au moins un infirmier assure ensuite la tournée du soir de 16h30 jusqu’à 19h30. Un cycle qui, malgré tout, n’a rien de monotone.
L’un des attraits de la profession est la diversité du travail. Éducation et prévention à la santé, suivi administratifs des soins, formation, suivi de dossier des patients complètent une palette de soins déjà variés. Et puis il y a ce rapport tellement particulier à la patientèle : « Ce n’est pas l’hôpital qui se déplace à domicile. Il n’y a pas d’injonction. On se fond dans le quotidien du patient. Il faut prendre le temps. Le domicile n’est pas toujours adapté, on fait avec. », explique Béatrice Goron. Les propos de Corinne Chalaud vont dans le même sens : « On n’oblige pas les gens, ce sont eux qui décident. On est chez eux. Notre boulot, c’est de négocier. » Que ce soit au sein des équipes ou vis à vis des patients, le relationnel est primordial. C’est la colonne vertébrale du service.
Pour sa responsable, il est essentiel de le développer même si pour « les infirmiers, il n’est pas toujours facile d’intégrer le côté social, de prendre le temps. Ils peuvent avoir tendance à être plus dans l’action ». Mais la pratique du terrain, le travail et l’expérience des « anciens » ainsi que l’ADN du service sont l’occasion pour les nouveaux d’intégrer rapidement cet état d’esprit. Ce qui est d’autant plus important que le métier connaît une véritable mutation ces dernières années. « Il n’y a pas moins de travail mais on passe plus de temps à éduquer », confie-t-elle.
Les soins changent aussi. Le traitement de certaines maladies par médicaments (chimio médicamenteuses) permet de ne plus avoir recours à des traitements plus invasifs. Certaines populations de malades, comme les diabétiques, sont désormais mieux informées et ont moins besoin de l’intervention d’un infirmier. Il y a moins d’actes techniques et davantage de nursing (toilette, aide à la douche, surveillance de traitements).
Cependant, la crise du Covid-19 a mis en évidence le rôle primordial des infirmiers à domicile pour assurer les soins prioritaires, évidemment, mais surtout pour entretenir le lien social avec une population souvent esseulée. Si, au début, cette crise a généré beaucoup d’angoisse chez les infirmiers, vis-à-vis de leur famille, des patients mais aussi pour eux-mêmes, cela ne les a pas empêchés d’effectuer leur travail. D’autant plus « qu’au niveau matériel, nous n’avons manqué de rien. Notre responsable s’est démenée. On s’est senti soutenu par la direction. Nous partions sereines car nous avions tout ce qu’il fallait pour nous protéger », relate Elodie Cheeseman, arrivée dans le service en décembre 2019 [voir plus bas]. Certes, l’angoisse était palpable chez les patients et il a fallu réadapter la prise en charge. L’important était surtout de ne pas perdre le lien avec les personnes isolées qui avaient peur de voir un infirmier venir chez eux. « Les équipes appelaient les patients chaque semaine. On vérifiait au cours des tournées si les volets étaient régulièrement ouverts. On déposait les médicaments », confie Béatrice Goron. « Au final la gestion du personnel n’a pas été différente, ajoute-t-elle. Nous n’avons eu aucun infirmier malade dans le service et je ne peux pas dire que nous ayons eu des difficultés insurmontables. »
Preuve de l’importance de la relation humaine qu’entretient le service avec les personnes qu’il soigne, Corinne Chalaud précise qu’au cours de la crise, de nombreux patients « se sont rendu compte que l’infirmier était leur seule visite. Du coup, ils nous ont rouvert leur porte ».
Elodie Cheeseman, infirmière au service de soins de la MSA du Limousin :
Depuis que je suis arrivée ici, j’adore ce que je fais !
Plus les semaines passent et plus je m’éclate, je n’ai pas honte de le dire.
À trente-sept ans, je suis la petite nouvelle du service ! Je suis arrivée le 2 décembre 2019. Auparavant, j’étais aide-soignante à domicile, puis j’ai repris le chemin des bancs de l’école pour devenir infirmière.
Je voulais revenir le plus vite possible au domicile. Alors, après un passage de juillet à mi-novembre 2019 en hôpital, j’ai postulé au service de soins infirmiers de la MSA du Limousin. Pour moi, et ma courte expérience en hôpital, la différence majeure réside dans le rapport que l’on entretient avec les médecins. À l’hôpital, il y a souvent un fossé entre les médecins et les infirmières, ce n’est pas le même monde. Ici, le relationnel est bien meilleur, nous avons besoin d’eux, ils ont besoin de nous.
Il y a une vraie considération. J’apprécie le fait de travailler au sein d’une petite équipe très soudée. L’autonomie aussi. C’est nous qui gérons si l’on veut passer davantage de temps avec un patient qui va mal. Les infirmiers à domicile peuvent avoir de grandes responsabilités, plus grandes en tout cas que ce qui est écrit dans les textes, il ne faut pas l’oublier. On est seul face au patient, même si on peut toujours contacter un(e) collègue ou un médecin en cas de besoin.
Pendant la crise du Covid-19, la situation a généré du stress. Il fallait se protéger, faire attention à tout, à chacun de nos gestes. Heureusement, on en parlait beaucoup entre nous, on se soutient. Ce qui est dommage, c’est qu’on ne parle pas beaucoup des infirmières à domicile. On a beaucoup évoqué les infirmières en hôpital mais nous, nous sommes un peu oubliées.
Corinne Roume, coordinatrice et infirmière au service de soins de la MSA du Limousin :
Nous avons toujours eu du matériel à disposition, à la différence des infirmières libérales. Et nous avons reçu des messages de soutien de la direction.
Je suis dans le service depuis juin 1983. J’ai exercé sur différents centres en tant qu’infirmière à domicile. Depuis 2015, je suis également coordinatrice de trois équipes : Bugeat, Meymac et Seilhac. Le fait que les quatre coordinatrices soient également sur le terrain permet d’être sur la réalité des soins. Nous avons ainsi une vision de la population que l’on soigne, des soins et de la charge de travail. D’autant plus que la vision du travail est en train de changer, on nous nous demande davantage d’expertise que de soins. De même, la population que l’on soigne évolue. Il y a beaucoup moins d’agriculteurs qu’auparavant. Cette présence sur le terrain m’est utile dans ma fonction qui consiste à encadrer techniquement les équipes d’infirmiers, à assurer le suivi des référents, des protocoles et des plannings. On s’occupe également du relationnel avec les services extérieurs (hospitalisation à domicile, soins aux personnes âgées) et les auxiliaires de vie, ou encore d’organiser les réunions techniques en équipes et avec les partenaires.
Je me plais dans ce service. Le travail est varié, avec du soin, du social et une vraie cohésion d’équipe. Il y a les infirmiers, bien sûr, mais il ne faut surtout pas oublier nos secrétaires et leur coordinatrice, Isabelle Perrier. Elles sont un vrai soutien, notamment pour les nouveaux en leur partageant leur connaissance du territoire. C’est important parce quand on travaille à domicile, on est chez le patient. On s’adapte à lui, on le respecte davantage qu’à l’hôpital. On n’a pas la science infuse. On respecte son environnement même si parfois il y a des choses qui peuvent nous choquer. C’est à nous de nous adapter pas à eux.