Même en hiver, les patients du centre de réadaptation de Maurs ne chôment pas. En attendant la réouverture du village vacances « La châtaigneraie », adhérent AVMA¹, c’est atelier peinture, ménage, entretien… Particularité de cet établissement de santé privé, d’intérêt collectif à but non lucratif : les mises en situation professionnelle se font au sein d’un établissement touristique, à quelques pas de là. Les deux structures partagent d’ailleurs la même équipe de direction.

Le but de la postcure est en effet d’être une transition après une hospitalisation, pour permettre à des patients atteints de schizophrénie, de troubles spécifiques de la personnalité ou de troubles psychotiques transitoires, de réapprendre à vivre, petit à petit, et développer un projet professionnel. Ici, à Maurs, la structure est à taille humaine, d’une capacité de trente lits. L’âge moyen est de 27 ans. Une grande famille qui évolue au rythme des saisons du Cantal et des vacanciers.

Deux niveaux de prise en charge

Concrètement, comment ça se passe ? Lorsqu’un patient hospitalisé est stabilisé dans son traitement, son médecin lui propose d’intégrer le centre. Après étude de son dossier, il visite les lieux avec ses parents et/ou l’équipe de l’établissement d’origine (éducateur, infirmière ou assistante sociale), découvre le fonctionnement et passe un entretien avec le psychiatre. Lorsque tout le monde tombe d’accord, il choisit son atelier, en fonction des disponibilités et de ses capacités, et intègre l’unité d’accueil du foyer pendant le premier mois.

Cinq activités de mises en situation professionnelle sont proposées : cuisine, restaurant, entretien des espaces verts, ménage ou lingerie.

Laura a choisi l’atelier cuisine et travaille avec Patrick, le chef cuisinier.

« La prise en charge se fait de deux manières, explique Muriel Darfeuille, directrice du centre et du village vacances. L’équipe médico-éducative leur apprend une certaine autonomie, dans la prise du traitement et dans le quotidien : faire les courses, cuisiner, avoir des activités sociabilisantes, faire le ménage, laver son linge, etc. Parallèlement, avec les ateliers, on essaie de les faire évoluer pour établir un projet professionnel. En sortant du centre, au bout d’un an en moyenne, nous pouvons définir avec eux une orientation en Esat, en foyer occupationnel ou un retour dans la vie normale. Parfois, nous avons des échecs. Ils retournent à l’hôpital. »

Cette étape est, en effet, un moment délicat pour ces jeunes patients. « Nous ne sommes pas un hôpital fermé, continue Muriel Darfeuille. Ils peuvent sortir comme ils veulent, du moment qu’ils nous préviennent. Ce passage d’un univers très médicalisé et fermé à cette liberté n’est pas une transition facile. Le personnel n’est pas en blouse blanche, mais cela reste une autre forme d’hôpital. Ce travail-là est le plus délicat et c’est un chemin qu’ils doivent faire eux-mêmes. Il y a deux ans, un patient, avec qui nous avions bien travaillé, allait tellement bien qu’il a pensé être guéri. Il a arrêté son traitement. Mais ces pathologies nécessitent très souvent une médication à vie. Il a décompensé et a dû être de nouveau hospitalisé. Ça a été très difficile. Il est revenu depuis et a pris véritablement conscience de sa maladie. Il faut désormais qu’il reprenne confiance en lui et dans le fait qu’il peut mener une vie normale.»

Surplombant la vallée, le centre dispose de 30 lits, 4 unités et plusieurs espaces de détentes .

Réussir à se remuer

En attendant, les patients peuvent profiter des installations du village vacances (piscine, terrain de tennis, mini-golf…) et de nombreuses activités : ateliers d’écriture, de sophrologie, formation aux premiers secours, sport… Le mur des souvenirs du foyer en témoigne. Et un week-end sur deux, ils peuvent rentrer chez eux. « Le week-end, on peut aller au cinéma ou au bowling !, lance Martin, le boute-en-train de l’atelier ménage. C’est parfois dur de se motiver pour travailler, mais moi j’aimerais bien être peintre. J’ai déjà un CAP. » « Être ici, c’est un bon tremplin pour moi, ajoute son collègue Jérémy. On en ressort avec quelque chose pour poursuivre notre projet. »

Photos ©Marie Molinario/Le Bimsa

Côté espaces verts-entretien, c’est un autre Jérémy que l’on retrouve, occupé à ramasser les feuilles mortes : « J’étais en hôpital de jour et ils m’ont proposé de venir ici. On n’est pas mal : il y a beaucoup d’activités et on se remet dans le bain, presque comme dans la vie ordinaire. Dans l’atelier, on fait un peu de tout, de la peinture à la réparation des ballons d’eau chaude. Après un an chez moi sans rien faire, c’est bien. Mon projet est d’aller en Esat. Je vais faire une visite, puis un stage et, si tout se passe bien, je pourrai l’intégrer. » 

« Ce qu’il n’acceptait pas encore il y a quelques mois, confie Ingrid Charreau, adjointe de direction et responsable qualité. Ces projets professionnels ne se font pas en un clin d’œil. Ça prend plus de temps pour certains, surtout s’il faut accepter l’idée de ne pas rejoindre une vie professionnelle en milieu ordinaire. » Du temps que l’adjointe prend auprès des patients, avec qui elle discute beaucoup.

« C’est surtout moi qui vient l’embêter !, s’amuse Charlotte, qui fait une pause avec ses amis. La vie ici se passe bien. Il y a des hauts et des bas, c’est normal. On se fait des amis, voire plus pour certains… Il y a beaucoup de choses à faire. On fait même le tri des déchets et le compost ! Il faut juste réussir à se remuer. Ce n’est pas facile. » La motivation semble être le nerf de la guerre. Ne pas retomber dans l’inactivité, dépasser ses angoisses, se confronter au monde extérieur… autant de défis difficiles pour ces patients. « Les pathologies sont beaucoup plus variées qu’avant, constate Ingrid Charreau. Les demandes et les besoins sont différents. On doit s’adapter à chaque cas. »

« On se remet dans le bain, presque comme dans la vie ordinaire. »

Depuis 2012, l’équipe a mis les bouchées doubles pour retrouver une stabilité financière, une gestion rigoureuse et une prise en charge plus structurée et innovante. Un travail conséquent qui a payé : en 2014, l’établissement a été certifié V2014 par la Haute autorité de santé, et même classé A, la plus haute note. Une grande victoire pour le centre qui était menacé de fermeture en 2010. « C’est très valorisant pour notre travail, atteste Muriel Darfeuille. Cela nous permet d’avoir un état d’esprit plus serein et de nous lancer dans de nouveaux projets enrichissants. » 

Aujourd’hui, ils répondent à des appels à projets de l’Agence régionale de santé, sur le thème de la culture dans les soins. Leur projet « C’est moi tout caché » a été retenu l’année dernière. Les patients ont pu travailler avec un photographe, un sculpteur sur bois et un artiste qui utilise le plâtre, sur leur vision d’eux-mêmes. Leurs œuvres seront exposées au village vacances au printemps, ainsi qu’à Maurs et ses environs. Un autre projet se dessine pour cette année, avec un osiériculteur.

Le printemps marque aussi le retour des vacanciers. Le rythme s’accélère dans les ateliers. Un nouveau défi à franchir pour Jérémy, Charlotte et les autres. « À l’arrivée des clients, nous leur présentons le projet, le centre, et leur retour est incroyable, s’enthousiasme la directrice. C’est parce qu’ils sont là que ces jeunes vont pouvoir rebondir. Et dans les enquêtes de satisfaction de fin de séjour, le point positif qui revient souvent, c’est ce projet. » D’autant plus gratifiant quand des patients retournent dans la vie normale avec succès, sans oublier de rendre visite à leur ancien foyer qui les a vu grandir et prendre leur envol.

¹Association de vacances de la Mutualité agricole.