Décryptage avec Philippe Labatut, médecin national adjoint, directeur du contrôle médical, de la gestion du risque et de l’organisation des soins à la caisse centrale de la MSA, et François Krabansky, médecin de santé publique et conseiller technique national.
Pourquoi lancer aujourd’hui cette nouvelle stratégie en santé ?
Philippe Labatut : Le but est de répondre aux enjeux nationaux en contribuant à leur mise en œuvre, d’améliorer l’identification de la MSA sur ce champ par nos tutelles et nos partenaires, ainsi que de donner aux caisses plus de visibilité et de sens aux actions à mener. Un besoin qui s’est confirmé lors des travaux en cours sur le conseil national de la refondation en santé. Il y avait en effet une forte attente du réseau d’une ligne claire.
Validé par toutes les instances de l’institution et transmis au début du mois de décembre, le document répertorie également tous les dispositifs MSA existants, quelles que soient les directions ou les structures. L’idée est de prendre en compte les évolutions des politiques et de créer une dynamique transversale entre les différentes directions qui contribuent au champ de la santé afin de sortir de la vision très linéaire liée à notre convention d’objectifs et de gestion. Nous instaurons également une priorisation des enjeux pour mieux les adapter à nos capacités et savoir-faire. Le tout en respectant les objectifs et actions portés par les différentes directions et nos engagements avec l’État.
François Krabansky : Cette stratégie est destinée aux directions de la caisse centrale et du réseau MSA, mais aussi aux acteurs nationaux et locaux – ministères, parlementaires, agences régionales de santé (ARS)… Elle nous permet d’afficher nos enjeux en tant qu’acteurs des politiques publiques. Au-delà de l’efficience et de la gestion du risque, la MSA, de par ses spécificités, est présente pour aider les populations agricoles et rurales. Il s’agit également de donner du sens, de mieux acculturer à ce sujet, de partager des enjeux communs pour fédérer autour de cette thématique.
Quatre grands enjeux
Organisme singulier du paysage de la protection sociale, la MSA intervient dans six domaines d’expertise de la santé pour ses 5,3 millions de ressortissants : la prévention, la santé-sécurité au travail, l’organisation des soins, l’action sanitaire et sociale, la gestion du risque, le contrôle médical. En s’appuyant sur ses atouts, sa stratégie se décline en quatre grandes problématiques :
1. Améliorer l’espérance de vie en bonne santé par la promotion de la santé et la prévention, tout au long de la vie et dans tous les environnements.
2. Lutter contre les inégalités sociales et territoriales d’accès à la santé dans les territoires ruraux.
3. Garantir la qualité et la pertinence de la prise en charge, à chaque étape du parcours de santé.
4. Développer l’autonomie des populations agricoles et rurales, âgées et en situation de handicap, et soutenir les aidants.
Le document intègre des tableaux qui répertorient toutes les actions réalisées par la MSA sur les territoires afin d’améliorer la santé de ses ressortissants et des populations rurales. Il faut y ajouter les initiatives extérieures, tels que les appels à projets auxquels les caisses participent financièrement.
Quelle est sa philosophie globale ?
F.K. : Le tout est chapeauté par une approche One Health. C’est un concept qui existe depuis longtemps mais dont on entend beaucoup parler en ce moment, notamment avec la pandémie de Covid. Le principe est de dire que oui, il y a un lien entre la santé humaine, animale et environnementale. Ce qui fait naturellement sens pour la MSA, et que nous devons garder en vue dans notre façon de mener nos actions. Dans le premier enjeu par exemple, on inclut l’environnement social et économique, qui a un impact extrêmement important, notamment sur l’espérance de vie en bonne santé. Il y a 13 ans de différence entre un cadre supérieur et un ouvrier, c’est énorme.
P.L. : Le travail, le social, l’éducation… si nous n’intégrons pas d’emblée ces facteurs dans les échanges et les réflexions, nous manquons une partie de nos cibles. Cette vision globale incluant les déterminants de santé doit être appréhendée par tous les intervenants MSA, y compris les élus, fortement investis sur le terrain.
Quelle est la prochaine étape ?
P.L. : Il y aura d’abord une déclinaison à l’échelon régional au niveau des associations régionales des caisses de MSA (ARCMSA). C’est un enjeu fort, car il y a d’importantes disparités entre les territoires. Pour que les caisses réussissent à porter cette stratégie de l’institution, il faut qu’elles s’organisent. Et cela passe par le niveau régional, siège du pilotage des politiques de santé via les ARS et la direction de la coordination de la gestion du risque du régime général d’Assurance maladie.
Un groupe de travail est lancé en janvier afin d’outiller méthodologiquement les ARCMSA. Dès le premier trimestre, elles pourront, à l’aide de ce support stratégique et après une priorisation, contribuer aux travaux qui seront lancés par les ARS pour rédiger les nouveaux projets régionaux de santé 2024-2028, en déclinaison de la nouvelle stratégie nationale de l’État. Chaque MSA, selon le contexte de chaque département la composant, hiérarchisera ses objectifs en fonction de leur pertinence et de sa capacité d’action.
Comment va-t-elle être accompagnée sur les territoires ?
F.K. : Il y a les enjeux thématiques, et il y a le cadre opérationnel. Nous reprenons quatre principes d’actions qui donnent des orientations pour la mise en œuvre concrète. Mais nulle part nous ne disons ce qu’il faut faire.
Le premier porte sur l’utilisation et la valorisation des données afin de réaliser ou d’enrichir des diagnostics territoriaux, et de mener des études pour la recherche, toujours dans le but de mieux connaître la population des territoires ruraux. Ces données serviront également à la détection et au ciblage pour une approche personnalisée, en particulier dans le domaine de la prévention. C’est ce que nous faisons avec les Instants santé, qui ciblent des personnes éloignées du soin.
Le deuxième est d’être un assembleur de solutions au niveau local. Il existe des démarches de coordination comme les contrats locaux de santé, les communautés professionnelles territoriales de santé… L’idée est de coordonner les acteurs et de ne pas porter une action dans notre coin. Il faut réfléchir à la façon dont on s’intègre dans une dynamique locale et, au‑delà, comment on peut profiter de ce qui est déjà mis en place pour en faire bénéficier nos populations.
Le troisième est de développer un service global personnalisé et attentionné grâce à notre guichet unique. Il s’agit de savoir comment, pour bien répondre à un besoin, on peut mobiliser plusieurs services. C’est ce qu’on retrouve avec les cellules de maintien dans l’emploi ou du mal-être. Nous allons également bientôt lancer un nouveau programme sur l’autonomie. Sans oublier d’évaluer ces dispositifs afin de les faire évoluer pour toujours mieux répondre aux attentes. Le dernier axe porte sur notre capacité à expérimenter, à tester de nouvelles actions pour rester innovants. À travers des dispositifs tels que coup de pouce prévention ou l’appel à projets jeunes. La MSA a toujours été innovante en santé notamment, il faut continuer à l’être.
Comment les élus MSA peuvent-ils s’intégrer dans cette dynamique ?
P.L. : Ils ont une connaissance du territoire et de ses habitants qui leur permet d’avoir une vision précise des besoins et difficultés, de remonter des problématiques de terrain et de contribuer au ciblage des actions à mettre en place. Grâce à leur position, ils tissent des liens entre les acteurs et agissent à tous les niveaux pour faciliter le déploiement de dispositifs. Ce sont des ambassadeurs qui réalisent des actions auprès de la population, on l’a vu notamment avec la semaine de l’alimentation.
Pour porter cette dynamique en santé, les acteurs doivent se former. Les élus ont bénéficié en 2022 de formations sur l’accès et l’organisation des soins ; nous pourrions imaginer la même chose sur la santé publique, qui est proposée aux collaborateurs de la MSA en partenariat avec l’école de santé publique de Nancy.