Mardi 14 janvier, 20 heures, tapis de sol sous le bras, direction la salle des fêtes de la commune située à 50 minutes en voiture de Tours pour assister à la séance mensuelle de grosse rigolade.
On dit qu’un bon bâilleur en fait bâiller sept. Un bon rieur, comme Nathalie Rivière, n’a aucune limite. Son rire franc, sonore, puissant, décomplexé, total semble pouvoir déplacer des montagnes et débloquer les zygomatiques des plus coincés d’entre nous. Pas besoin d’expliquer à un enfant le mode d’emploi pour rire ou s’amuser. Le rire est le propre de bambin mais pour les adultes engoncés dans leur corps physique et social, constamment dans la maîtrise d’eux-mêmes, s’en taper une tranche sans se soucier du « qu’en dira-t-on » est une autre paire de manche.
« Jusqu’à l’âge de 3 ans, un enfant rit entre 300 et 400 fois par jour, un adulte en moyenne seulement 10 fois », déplore la présidente de l’association Rions ensemble. « En 1939, une époque où il n’y avait pas de réseaux sociaux ni de smartphone et où la vie était bien plus difficile, on rigolait pourtant 20 minutes en moyenne par jour. Ce chiffre est tombé aujourd’hui à moins de 2 minutes quotidiennes », se désole la professeure de yoga du rire. Nostalgique de ce temps pas si lointain où existaient une multitude de lieux conviviaux, de fêtes de village et de bistrots qui formaient autant d’occasions de se retrouver pour refaire le monde et se dilater la rate.
« J’ai fait l’école du rire en 2003 », annonce très sérieusement Nathalie Rivière. Une vraie école installée à Mulhouse. Depuis, elle partage son rire communicatif et sa joie de vivre entre sa cabine de péage où elle continue à officier et ses séances de rigolo-thérapie avec des centaines de personnes curieuses d’en apprendre un peu plus sur cette discipline venue d’Asie.
Mise au point en 1995 par le Dr Madan Kataria, médecin, et sa femme Maduri, professeure de yoga, la technique a débarqué en France en 2001. Elle compte aujourd’hui des millions d’adeptes à travers le monde et en particulier en Inde, où elle est pratiquée à tous âges au quotidien dans les parcs, les écoles et même au sein des entreprises à la manière du taï-chi chinois. Car entre autres vertus, le yoga du rire permet non seulement aux écoliers de mieux apprendre mais aussi aux salariés d’accroître leur productivité.
« J’ai ressenti un vrai apaisement. »
Dans la salle des fêtes de l’Île-Bouchard, Michel, qui vient de terminer sa séance, est emballé. « J’ai ressenti un vrai apaisement. » Ce jeune sexagénaire, retraité du régime agricole, poursuit : « Je me suis complètement déconnecté. J’étais loin des soucis du quotidien, de la météo et des grève. Ça me fait ça à chaque fois, je débranche la machine… et je repars plus léger. » Car Michel est un habitué. Ils sont une dizaine comme lui à se réunir chaque mois pour leur séance de défoulement des zygomatiques en groupe. Rires sonores avec dents du fond et luette apparentes ou petits rires discrets, chacun son style. « Pratiquer avec des personnes qu’on ne connaît pas n’est pas si facile. On est là pour rire avec l’autre et pas de l’autre. On rit avant tout de soi. Il n’y a pas de compétition. Pas de jugement. Chacun fait les exercices à son rythme. »
Dans la salle tous font la démonstration que ce langage est universel et qu’il transcende les classes sociales, les religions, les frontières, les cultures, les couleurs de peau, les âges, les handicaps, les orientations sexuelles, les langues et les genres. Un rire de qualité est par nature inclusif. Ici personne ne détourne le regard, tout le monde fixe son voisin de poilade droit dans les yeux dans un éclat de rire géant qui fait vibrer jusqu’aux vitres de la salle. « Le rire est un médicament gratuit qui ne creuse pas le trou de la sécu ni celui de la MSA », taquine Nathalie Rivière, yeux rieurs derrière ses lunettes cerclées de rouge qui lui donnent un air canaille.
Le rire active 17 muscles faciaux
Rire forcé, naturel ou nerveux, le cerveau ne fait pas la différence. Résultats : ses bienfaits sur notre santé sont les mêmes. Il renforce le système immunitaire, améliore le sommeil, réduit les risques cardiovasculaires. Sa pratique est même préconisée par la fédération française de cardiologie. Il diminue la pression artérielle et réduit la production de cortisol, principale hormone du stress. Le fait de rire dilate le diamètre des vaisseaux sanguins et provoque l’oxygénation du corps de la tête aux pieds. Pendant les séances, on libère de l’endorphine, notre morphine naturelle, une hormone plus puissante que la synthétique. Nathalie Rivière prévient : « À la fin de la séance, vous serez shooté, c’est de la bonne, de la pure, elle n’est pas coupée et c’est votre propre corps qui la fabrique. »
Mais les effets bénéfiques du rire forcé ne s’arrêtent pas là. Il provoque des contractions courtes et des spasmes du diaphragme. Ce dernier se redresse, tout comme le dos. Le contenu abdominal est abaissé de haut en bas. Il facilite la digestion et prévient l’aérophagie et la constipation. Sous l’effet des rires, les épaules sont secouées et les autres zones musculaires se détendent… Il permet de dépasser sa timidité, de retrouver la confiance en soi, il illumine notre visage. C’est une vraie cure de jouvence. Oubliez le botox, 17 muscles faciaux s’activent lorsque l’on rit et 400 dans l’ensemble du corps.
Le rire favorise aussi la mémoire, apporte une relaxation immédiate et permet de brûler des calories. Une minute de bon rire équivaut à 10 minutes de rameur. Et 10 minutes de bon rire équivalent à 45 minutes de jogging. « Attention, nous ne sommes pas une secte, tient-elle à préciser. C’est plutôt le contraire, on apprend aux gens à respirer et à prendre conscience d’eux-mêmes et de leur corps. Après ça, il devient plus difficile de les embrigader et de les manipuler. »
De 18 mois à 103 ans
Il y a un avant et un après yoga du rire dans la vie de Nathalie Rivière. « À l’époque je sortais d’une dépression. Je cherchais un bon moyen de gérer mon stress quand on m’a parlé de cette méthode. » Un véritable coup de foudre pour la discipline qu’elle enseigne depuis 2003. Nathalie a fait sienne cette maxime du père de la technique, le Dr Madan Kataria : « Nous ne rions pas parce que nous sommes heureux, nous sommes heureux parce que nous rions. » Vous êtes prévenu, le rire de Nathalie est vraiment communicatif. Mais pratiquer le yoga du rire n’est pas une activité anodine. « Nous demandons un certificat médical car il y a des contre-indications comme le glaucome et l’hyper-tension à l’œil, la descente d’organes, les opérations récentes de l’abdomen et les hémorroïdes », prévient-elle. Sa pratique est également déconseillée aux femmes enceintes. Néanmoins, la technique qui s’apparente à de la gym douce est ouverte à tous, de 18 mois à 103 ans, l’âge du plus jeune et du plus âgé des pratiquants à l’association Rions ensemble.
Des émotions sont remontées d’un coup, je ne m’y attendais pas du tout
« Comme dans tout sport, on ne part pas à froid. On commence par des échauffements, pour éviter de luxer ses zygomatiques ou de se décrocher la mâchoire, suivis d’une dizaine d’exercices de rire, intercalés avec des exercices respiratoires. Vient ensuite une troisième partie qui se pratique allongé ou assis. C’est le moment où on lâche le fou rire qu’on a pu révéler en nous. » Une sorte de climax d’éclats de rire sonores où les personnes lâchent tout, parfois ce qu’ils ont de plus enfoui. Nous le constatons, le rire peut être violent, physiquement et moralement. À la fin de la séance Nathalie, une participante, a les yeux embués par les larmes. « Je suis surprise car des émotions sont remontées d’un coup, je ne m’y attendais pas du tout… » C’était son premier cours. « C’est tout à fait normal, cela avait besoin de sortir. On l’a juste aidée un peu. Vous allez vous sentir soulagée », rassure la professeure.
Jocelyne comprend parfaitement son émotion. Elle-même a commencé le yoga du rire après un burn out professionnel. Elle fait les 50 km qui séparent l’Île-Bouchard de Saumur où elle réside pour assister aux séances mensuelles le sourire aux lèvres. « Ça m’a beaucoup aidée. Je riais énormément avant mon problème professionnel. Après plus du tout. J’ai retrouvé mon rire et ma joie de vivre grâce au yoga du rire. »
C’est un peu courbaturée des zygomatiques et les joues encore rougies par la séance que Josiane prend la parole. Elle fait partie du groupe de délégués MSA à l’origine de ce projet. « J’ai découvert ce concept en décembre 2017 et je n’ai raté aucune séance depuis. J’adore. Mais Il faut oser pousser la porte de l’association. C’est le plus difficile. Cette étape passée, vous reviendrez obligatoirement car ça fait un bien fou. » Sans rire !
Pour en savoir plus :
[en direct] Séance de #yoga du #rire 😂 à l’île-Bouchard (#IndreEtLoire) avec la #MSA #BerryTouraine. Au programme: grosse poilade, éclats de rire contagieux, #BienEtre, #LâcherPrise et en prime le plein d’#endorphines. #MadanKataria @OUEDRAOGOISABEL @msa_actu 1/6 pic.twitter.com/diQSOAohXJ
— le bimsa (@lebimsa) January 14, 2020