Laissez-vous surprendre

En brandissant des capsules usagées d’une célèbre marque de café destinées au recyclage, le chef étoilé Christian Pilloud, sourire provocateur jusqu’aux oreilles, déstabilise d’entrée son public. Elles seront intégrées à sa recette de dessert du jour. « J’ai fait le radin, concède le cuisinier, dont la renommée dépasse largement le petit village du Doubs de 382 habitants où son restaurant Mon plaisir est installé depuis 28 ans. J’aurais pu utiliser du café frais, mais c’est pour vous montrer que l’on peut faire des choses avec des capsules destinées à être jetées. » Il faut dire que les habitants des alentours réunis dans la salle des fêtes de Chamesol sont plus habitués à le voir cuisiner des mets d’exception comme le homard, le foie gras ou les cuisses de grenouille. Aujourd’hui rien de tout cela.

Soigneusement alignés devant lui s’étalent quatre tranches de jambon qui frisent la péremption, quelques vieux poireaux aux racines desséchées, des coquillettes avachies impatientes de se poêler ou encore une baguette sur le retour qui a la nostalgie d’une période plus croustillante de sa vie. Sans oublier cette ribambelle de dosettes éventrées qui fait décidément beaucoup parler. A priori rien d’alléchant, et pourtant on aurait tort de trop vite sous-estimer ces oubliés du plan de travail et du fond du bac à légumes.

Plantureuses croquettes de pâtes

Avec sa fausse pizza aux poireaux, ses plantureuses croquettes de pâtes, ses appétissantes gaufres de pommes de terre au jambon et curry, son ingénieux pain perdu tomates mozzarella et son très surprenant brownie au marc de café, Christian Pilloud a l’art d’accommoder les restes pour en faire des stars de la table. « J’attends de goûter ça pour me prononcer », lance un spectateur perplexe, qui semble avoir la dosette qui lui reste en travers de la gorge. Cela tombe bien, c’est prévu, mais pour l’instant place au maestro et à sa maîtrise de l’art culinaire aussi affûtée que son horreur du gâchis.

«Je vais cuisiner uniquement ce qu’on trouve dans le réfrigérateur de monsieur et madame tout le monde », prévient le chef habitué des micros, qui ramène sa science culinaire quotidiennement sur les ondes de France Bleu Belfort-Montbéliard. Il anime aujourd’hui l’étape chamesoloise des ateliers Bien manger sans gaspiller, en compagnie de Marie Droz-Vincent, diététicienne, et Marie Hocquet, animatrice des territoires ruraux à la MSA de Franche-Comté, sous le regard attentif des élus MSA qui ont mis sur pied l’événement.

« Magnifions nos restes et redonnons-leur leurs lettres de noblesse », s’enflamme-t-il, captant l’intérêt de la quinzaine de participants dont les papilles commencent à être chatouillées par les odeurs de cuisine qui envahissent la salle.

Faire des économies

« Au fond du réfrigérateur, il y a toujours des légumes qui s’abîment, des morceaux de lard ou des tranches de jambon qu’on a achetés en promotion en trop grande quantité et qui nous restent sur les bras. Tout ce qu’on jette, c’est de l’argent. C’est tout ce que vous ne dépenserez pas pour vous procurer une nouvelle tenue ou pour aller au cinéma ou au restaurant. Suivez mon regard… » Si le chef plaide pour sa paroisse, il parle aussi au porte-monnaie d’un public gourmand de conseils.

Raymonde, 63 ans, est conquise. À la retraite, elle continue à donner un coup de main sur l’exploitation reprise par son fils. « Je fais attention depuis quelque temps car on s’aperçoit aujourd’hui que tout devient très cher. »

« Plutôt que de réchauffer trois fois le même plat, soyez créatifs !, lance Christian Pilloud. Ce que je vous présente aujourd’hui est une colonne vertébrale ou ma vision des plats, insiste le chef. Ce sera à vous de vous en emparer pour le refaire à votre sauce chez vous et selon ce que vous avez sous la main. »

« Gâcher ou pas, cela dépend beaucoup des valeurs que l’on nous a transmises, souligne Pascale, mère de trois enfants et éleveuse en bovin lait en appellation comté. Chez nous, on a toujours fait attention et cela ne me fait pas du tout plaisir de jeter. C’est plus facile qu’avant d’accommoder les restes car on peut trouver facilement des recettes sympas sur Internet quand on voit des denrées qui vont s’abîmer. »

Artiste de l’éphémère

« L’ail, les oignons, l’échalote coûtent de l’argent ; huit fois sur dix, il y en a une bonne partie qui part à la poubelle. Mixez-les avec un peu d’huile d’olive avant qu’ils ne s’abîment et congelez-les. Cela fonctionne aussi très bien avec la sauce tomate », conseille le chef en sortant un sachet du congélateur.

Anne-Marie et Néva notent l’astuce. Elles sont venues en copines et en voisines. Elles habitent Baubrey et Montjoie-le-Château. « On cherche des idées pour cuisiner les restes et faire des économies. » On peut dire qu’elles ont été servies, par le chef lui-même qui, après avoir cuisiné, a fait le service en personne.

En déposant le dessert sur la table, il lâche un dernier conseil : « Ce qui compte, c’est le temps passé et l’amour que vous avez mis dans votre plat. On n’a pas besoin de homard ou de langouste pour être heureux à table. On peut même se régaler avec des brownies au marc de café ! » CQFD.

Moelleux à souhait, ils ont conquis l’assemblée, comme l’ensemble des plats proposés par le chef. Mission accomplie pour celui qui se définit lui-même comme un artiste de l’éphémère. Confirmation dans la salle avec une œuvre du jour aussitôt engloutie.


Atelier-culinaires-chamesol-diététicienne
Marie Droz-Vincent,
diététicienne

Amidon modifié, dextrose, sirop de glucose … du sucre caché

Comté, morbier, mont d’or, nos fromages locaux sont riches en immunoglobuline qui va venir renforcer nos défenses immunitaires. On a la chance ici d’avoir de bons fromages au lait cru qui possèdent des qualités nutritionnelles qu’on ne retrouve pas dans le fromage industriel pasteurisé. Sur l’étiquette, Nutriscore n’est pas forcément l’indicateur à privilégier. Il mentionne principalement les calories. Une plaque de beurre va être par exemple mal notée alors que c’est un aliment intéressant. Mieux vaut se concentrer sur la liste des ingrédients.

Plus elle est courte plus on est face à un aliment brut, naturel et sain. Si on prend un sachet de pâtes, il y a un seul ingrédient : la semoule de blé dur. Par contre sur un cordon bleu industriel, on a 60 % de viande mais aussi de l’amidon modifié, du dextrose, du sirop de glucose… Ces différents noms désignent le sucre sous différentes formes. La plupart des gens n’ont pas conscience qu’en achetant ce produit salé, ils consomment du sucre caché en quantité non négligeable.

Le deuxième constituant d’une célèbre pâte à tartiner chocolatée est l’huile de palme. Elle a la propriété de modifier son caractère satiétogène. En gros, elle donne envie d’en remanger. Ajouté au sucre, on est en présence d’une bombe addictive. L’huile de palme va aussi se retrouver dans le pain de mie des burgers du fast-food. Elle est constituée de graisses saturées qui favorisent les thromboses en facilitant son l’accumulation dans l’organisme.

L’atelier est né de la
volonté des élus de la MSA

Ils sont 323 en Franche-Comté. Ils recueillent en direct les préoccupations de nos adhérents sur leur territoire et proposent des actions concrètes comme celle d’aujourd’hui. En plus de cuisiner avec un chef et une diététicienne des produits locaux intégrés dans des recettes simples qui permettent d’utiliser les restes de son réfrigérateur, nous proposons aux participants d’apprendre à décrypter les étiquettes des produits alimentaires qu’ils ont eux-mêmes amenés.

Nous nous sommes associés pour l’occasion au Syndicat mixte de Besançon et de sa région pour le traitement des déchets et l’établissement public pour la prévention et la valorisation des déchets dans le Haut-Doubs (Préval) qui ont engagé des démarches de lutte contre le gaspillage alimentaire. C’est dans ce cadre qu’est née l’association La Marmite solidaire qui récupère les denrées invendues auprès de producteurs locaux et de supermarchés pour en faire des plats cuisinés à destination des personnes défavorisées. Après Chamesol, des ateliers ont été organisés à Fournets-Luisans, Serre-les-Sapins, Amagney et Bolandoz.

Marie Hocquet,
animatrice des territoires
ruraux à la MSA de Franche-Comté.
Photos : © Alexandre Roger/Le Bimsa